Les Alchimistes: la formule secrète – Check

Les Alchimistes: la formule secrète

16 février 2020

Martin Vachiery

Après quelques années très excitantes qui ont posé les bases de leur Rap hardcore et inclassable, le duo le plus atypique du rap francophone revient avec un projet plus complet, plus diversifié et plus abouti. Les Alchimistes présentent « OSEF », l’occasion de vous révéler enfin la formule secrète du groupe bruxellois.

Le rendez-vous est pris au Walvis, un café mythique situé dans le quartier flamand de Bruxelles. Rizno, capuché et discret est accompagné de son acolyte, Ruskov, souriant et bavard. Chacun restant fidèle à sa réputation.

Cela fait un petit temps chez Check qu’on suit la carrière des jeunes belges, on avait pas encore eu l’occasion de mettre un vrai focus sur leur travail, alors quand Martin se pose à table avec les deux artistes, c’est avec une certaine excitation (- pause -) et avec une bonne petite blague en guise d’introduction.

Martin Vachiery : Alors dites-nous, c’est qui le Russe, c’est qui le renoi ?

Les Alchimistes : (Rires)

Ruskov :  Ruskov le Ruse, Rizno le renoi. Mais attention, Rizno il a des proches dans la famille qui sont russes aussi !

Comme quoi vous êtes déjà mélangés, l’alchimie fonctionne. Les Alchimistes, déjà dans le nom, on est dans un univers un peu ésotérique, c’est quoi l’idée ?

Ruskov : L’idée c’était de trouver le côté fraternel vu qu’on est un binôme, fallait trouver un nom marquant et c’était inspiré d’un manga qu’on kiffait à ce moment (« Fullmetal Alchemist »). Les Alchimistes ce sont de frères.

Ruskov : Une alchimie naturelle donc.

Vous arrivez avec une approche qu’on ne retrouve pas beaucoup dans le rap francophone, c’est le côté un peu … disons « rap hardcore ». Je n’aime pas trop ce terme, mais ça définit pas mal votre base artistique.

Rizno : Notre première proposition artistique c’était vraiment ça en soi. Un peu “vener”, hard, brutal. Après on s’est plus recentrés vers d’autres choses, on est c’est moins hard qu’avant mais ça nous colle à la peau. L’étiquette « hard » nous colle à la peau. Faut faire avec.

C’est une bonne façon aussi de se faire remarquer. Parce que le paysage rap francophone est très diversifié mais peut-être un peu trop lisse aussi…

Rizno : Ouais c’est vrai. Tout est codifié donc quand on sort des codes, on se fait remarquer mais après il faut que ce soit positif.

Ruskov : Après à l’époque ce n’était même pas calculé. On était jeunes. Donc on ne réfléchissait pas à tout ça. C’était l’énergie qu’on proposait, c’est tout.

Vous avez perdu votre énergie punk ?

Ruskov : Non, on a envie de… Je pense que tous les deux on a envie de donner quelque chose de plus mature en fait. De toucher plus de personnes, et de moins passer pour des jeunes énervés, en fait on grandit. On devient plus matures.

Rizno : La musique c’est des émotions. Après quand tu regardes le mot “émotion”, tu peux voir dedans “e-motion”, tu vois genre le mouvement de l’énergie, c’est juste que notre énergie elle se déplace autre part. A un moment donné elle était dans le hardcore maintenant on s’ouvre plus.

Ce qui m’a énormément plu sur le projet c’est la diversité de l’offre musical déjà, de l’approche et de l’énergie. Le fait d’aller plus loin, d’aller chercher d’autres mélodies et tout c’est super. C’est hyper riche comme projet, par rapport à ce que vous avez proposé avant, il y avait une vraie énergie brute mais il y avait peut-être un peu moins de direction artistique, c’était peut-être un peu moins travaillé aussi.

Ruskov : Tout était un peu plus centré sur les mêmes thématiques et là au moins on explore que ce soit en flow, en thèmes, en tout en fait. On explore un maximum de choses musicalement, même au niveau des prods. Voilà pourquoi tu entends des choses plus mélodieuses.

Et du coup vous arrivez à vous ouvrir musicalement ? Peut-être ouvrir le public aussi.

Ruskov : Pour chaque artiste, l’idée c’est de consolider sa fanbase et puis de l’agrandir, de réussir à l’agrandir au maximum.

Rizno : De se faire plaisir aussi. De faire plaisir aux auditeurs. C’est ça qu’on essaie de faire. C’est ça qui a aussi fait qu’on était obligé de se diversifier dans la musique parce qu’on ne peut pas rester dans une zone de confort. Voilà on teste des choses.

Ce que le public ne sait peut-être pas encore c’est est-ce que vous êtes des mecs de Bruxelles ! C’est pas vraiment quelque chose que vous avez revendiqué jusqu’à présent.

Ruskov : Au début on le revendiquait.

Rizno : Non, pas une seule fois.

Ruskov : 3 fois au moins !

(Ils ne sont pas d’accords)

Ruskov : « T’es matrixé », ça parle de de Bruxelles, « Poutinos », ça parle de Bruxelles, « Mauvais garçon », ça parle de Bruxelles

Rizno : D’où ça parle de Bruxelles ? T’as une phrase dedans. Faut la trouver !

(Rires)

Bon, pour vous mettre d’accord, disons que par rapport à certains artistes qui en ont fait des morceaux, c’est moins marqué chez vous !  

Rizno : Après ce n’est pas un besoin de revendiquer Bruxelles. On est Bruxellois on est fiers de l’être. Pas besoin de le revendiquer, on est des humains dans un monde.

Ruskov : Surtout des artistes avant tout.

Rizno : C’est juste la musique. Après c’est vrai les gens pensent beaucoup qu’on est parisiens. Encore dernièrement je parlais avec Geeeko (présent en feat sur l’album), il nous disait « venez quand vous êtes à Bruxelles on se capte », mais gros « on habite à Bruxelles ! ». Il pensait qu’on était parisien, donc si c’est pas clair dans son esprit, c’est clair dans l’esprit de personne.   

Je pense que c’est aussi dû à votre proposition. Même s’il y a pleins de trucs diversifiés à Bruxelles, elle est originale, un peu hors sol. Ça ne ressemble pas à ce qu’il y a pu se faire à Bruxelles. C’est ça aussi la force du truc, se dire « tiens les Alchimistes, finalement peut-être qu’ils sont d’ailleurs ».

Ruskov : Au final ouais on est d’une autre planète, « stout » !

Sur le projet il y a des phases rappées en russe. C’est un truc qu’on entend peu. Les gens ne le savent pas forcément mais il y a une vraie scène rap en Russie. C’est une langue qui se marie bien avec le rap.

Ruskov : J’ai toujours placé en russe, mais ça s’entendait peut-être moins parce que je le faisais dans des ambiances. Mais là, vu que c’est depuis ce projet, on se livre vraiment beaucoup plus, vu que je parle de la « mif », ça vient automatiquement. Dès que je parle de ma famille, papa, maman, ma sœur etc. voilà ça vient direct en russe parce que je parle en russe avec eux.

Rizno pose aussi en russe sur le projet !

Ruskov : Il a juste fait un refrain dans le projet où il dit une phrase en russe (rires).

Rizno : Ouais je l’ai fait pour tester.

Ça t’a plu ?

Rizno : Euh… Sans plus. Je vais laisser ça à Ruzkov en vrai. Après on va me dire pourquoi tu ne fais pas en lingala et tout ça. Sinon on va trop nous mettre dans la case russe, rappeur russe.

Déjà que les gens pensent que vous n’êtes pas de Bruxelles, alors des rappeurs russes ça va être compliqué. Il faut remplir des salles à un moment donné.

Rizno : (Rires) Oui mais pour être sérieux, ce que je n’aime pas dans la musique, c’est quand on veut nous enfermer dans des cases. C’est un truc horrible. C’est un truc naturel, n’importe qui peut le faire, même nous on le fait en fait, par facilité. On arrive à bien structurer comment on voit les gens, mais ce n’est pas bien. Des fois ce n’est pas approprié.

Ruskov : Si demain Lomepal décide de faire un gros banger trap avec des artistes comme 13 block ou des gens comme ça, un truc « gang », les gens vont en parler négatif, ils vont le tailler. Et à l’inverse les auditeurs de 13 Block ou de Ninho, ils vont se demander pourquoi ils se mélangent à ce type, tu n’as pas besoin … Le seul qui arrive à sortir de tous ces codes pour l’instant je trouve c’est Alkpote. Il n’y a plus de cases autour de lui. C’est juste Alkpote, fin.

Ruskov : Maintenant on réfléchit de la même manière que Alkpote sur l’ouverture, comme sur le son « personne » qu’on a fait avec JeanJass…

D’ailleurs, il y a des beaux feats sur le projet: JeanJass, Geeko, Youv dee et Sirap… ce sont des artistes très différents, qui vous permettent d’explorer d’autres univers.

Rizno : Ouais, il faut être ouvert. Surtout quand on fait de la musique, de l’art en général, il faut être ouvert pour ne pas être limité. On peut tester des trucs qu’on n’a jamais fait avant. Peut-être que c’est des trucs où on va exceller. C’est pour ça que je me dis qu’on doit tester tout jusqu’au moment où va vraiment trouver un truc efficace.

Ruskov : Même au-delàs de la réussite, je trouve ça trop plaisant d’explorer. Tout simplement, d’explorer des territoires inconnus.

Sur « Personne » justement, il y a cette idée qu’on ne sait pas vraiment qui vous êtes. C’est quoi pour vous les limites de ce que vous voulez donner au public en tant qu’artistes.

Ruskov : Moi j’en aucune, je peux raconter des choses fictives comme les plus personnelles possible. Je n’ai aucune gêne. Je peux parler de tout et de rien moi.

Rizno :  Avec le temps, et en voyant l’impact des mes paroles, je me suis dit qu’il fallait que je me contrôle un peu.  J’ai envie d’inspirer des choses positives. Tout ce qui est négatif, ou bien bête et méchant, je suis en train de le supprimer de ma musique, même si je l’ai fait avant. Et je ne renie rien, c’est juste une évolution de ce que j’ai envie de montrer. Je raconte une histoire de rédemption, c’est juste ça. Montrer que tu viens de très noir, jusqu’à un truc plus éclairé et que ça marche quand c’est éclairé. Parce que je souhaite que tout le monde soit éclairé.

Ruskov : Moi je pourrais continuer à faire de la musique bête et méchante (Rires). Mais de manière à faire comprendre que ce n’est pas une fierté de vivre dans la noirceur, les drogues et les addictions. Tout doit être bien scénarisé. Pour montrer que c’est grave en fait. Comme un réalisateur de film, qui pourrait faire un film sur le banditisme, souvent ça part en couilles à la fin, souvent il y a des morts, il y a des gens qui perdent leur fils, leur fille, je pense que c’est quand même bien d’explorer tout, tout tout tout ! Ne pas seulement faire des choses positives.

Est-ce que vous avez un rapport différent à la lumière, au fait d’être une « rap star » ?

Rizno : Je pense qu’on se complète, parce que moi je ne suis pas quelqu’un qui me vend, je ne me vois pas au-dessus des autres et je n’aime pas qu’on me glorifie non plus. Je ne veux pas que les gens me disent « c’est lourd ce que tu fais », même moi je n’aime pas dire c’est lourd ce que je fais. Je prends du recul par rapport à ça. Je donne la musique, je partage. Avec Ruzkov c’est différent.

Ruskov : Ouais moi j’assume totalement. J’aime trop, je ne parle pas qu’on me glorifie parce que même moi je trouve ça très malsain de glorifier quelqu’un, mais j’adore la célébrité. Même si je sais que dans la vie de tous les jours ça craint, si à un moment ça dépasse une certaine ampleur, tu ne peux plus aller faire tes courses tranquillement avec ta famille. Moi justement c’est pour ça que j’anticipe, que je parle beaucoup de ma maman, de ma sœur, de mon papa tout ça, parce que comme ça je n’aurai pas honte. J’ai pas peur de les assumer dans la vraie vie. Même après les concerts parfois, il y a ma mère qui vient, je la prends dans mes bras, je lui fais des bisous. Et ça c’est trop cool.

C’est pour ça que je trouve que votre duo est intéressant, il est complémentaire. Vous vous êtes rencontrés avant la musique ?

Ruskov : Avant la musique oui, à l’école. Il s’avérait qu’on habitait dans le même quartier en fait, du côté de Uccle-Stalle (sud de Bruxelles).

Rizno : On ne va pas faire les gangsters.

Ruskov : Ouais Stalle c’est calme. Mais bon, il y a quand même eu des sacrées histoires. Comme dans tout Bruxelles en fait.

Est-ce que c’est encore possible de surfer sur la « hype belge » ?

Rizno : En fait les gens n’ont même pas calculé qu’on était belge, à part quelques personnes qui connaissaient. Voilà pourquoi on a pas été classé dans la case « belge ». Heureusement qu’il y a des nouveaux médias comme Check qui commencent à mettre en avant ce qu’il se fait sur Bruxelles. Alors qu’avant il fallait aller en France directement, maintenant on a notre propre univers ici.

Je voulais aborder un sujet avec vous, quand j’ai commencé à travailler dans le rap à Bruxelles (il y a 10 ans), presque personne ne vivait de la musique. Aujourd’hui, la tendance s’est un peu inversée, mais est-ce que des artistes comme vous, vous parvenez à en vivre à 100% ?  

Ruskov : Non on doit encore taffer sur le côté.

C’est quelque chose dont on ne parle pas assez et je trouvais ça intéressant pour le public qu’il sache qu’encore aujourd’hui même des artistes reconnus, et même en France, ne vivent pas de leur musique…  

Ruskov : On peut en parler et il faut surtout en parler, la musique c’est super difficile. Non seulement déjà il faut être régulier, mais si tu n’as pas d’encadrement pour financer ton projet… Courage.

Rizno : Il faut être organisé parce qu’il y a une économie de la musique, une économie de malade. Il faut juste arriver à mettre en place une économie autour. Il faut savoir s’organiser, parce qu’en vrai ce n’est même pas un rapport notoriété-argent. Il suffit d’une équipe et de bien travailler, mettre les pions où il faut et c’est bon. Il est important d’avoir une équipe qui t’aide à la gestion de carrière. On a la chance de travailler avec « Bluesky » un label indépendant géré par des personnes plus que compétentes et très humaines.

J’ai une dernière question. A quelle évolution de carrière vous aspirez ?

Ruskov : Personnellement j’ai des rêves illimités. Je veux vraiment faire du cinéma, je veux jouer un bon rôle qui me collerait un peu à la peau, à l’image d’un Wolverine qui fait Logan, vraiment un personnage, devenir un personnage. J’aimerais bien aussi réaliser un bon film, peut-être à partir d’un livre que j’ai écrit ou quoi. Je dois finir le premier livre que je suis en train d’écrire. Pareil pour la musique, j’aimerais trop qu’on ait un album qui soit considéré, vraiment comme un vrai classique, quand je dis un classique c’est que je veux qu’on ait un projet, que les gens disent ça c’est un classique du rap que j’ai envie de réécouter dans 10 piges, ça c’est un classique du rap. Et aussi une putain de tournée jusqu’en Russie, une grosse méga tournée. Ce serait ouf.

Et toi Rizno ? Le mot de la fin ce sera pour toi.

Rizno : Moi j’aime bien le monde de la musique, voilà je veux utiliser l’expérience que j’ai, que je suis encore en train de prendre. Pour aussi avoir ma place dans un autre rôle, producteur, peut-être manager c’est cool aussi ou bien directeur artistique, il y a tellement de postes après une carrière d’artiste. Je peux changer de casquette, faire autre chose parce que l’expérience que j’ai eue me mènerait à faire un bon taf.

Ruskov : Pour résumer, moi je resterai sur le devant de la scène et lui il serait plus dans un truc dans les coulisses. Chacun ses gouts.

Rizno : Ça me botte ça.

Ce qui est bien avec les Alchimistes, c’est qu’ils font eux même la conclusion des interviews. Allez écouter leur projet « OSEF », c’est très très bien, et allez les voir sur scène près de chez vous.

Crédits photos : Adèle Boterf

Martin Vachiery

Journaliste bruxellois spécialisé dans la culture Hip Hop, Martin Vachiery a également travaillé pendant 8 ans à la rédaction de RTL Belgique. En 2011, il réalise le premier documentaire consacré au Rap bruxellois: “Yo ? Non, peut-être!”. En 2013, il anime ensuite pendant un an le “Give Me 5 Show” une émission de radio spécialisée en Rap belge, diffusée sur Radio KIF puis FM Brussel (devenue Bruzz). Après avoir collaboré avec de nombreux artistes de la scène belge sur différents projets culturels, il est aujourd’hui en charge de la ligne éditoriale et de la programmation musicale de Check.