Tout pour l’amour d’A2H – Check

Tout pour l’amour d’A2H

25 novembre 2018

Etienne Antelme

« Bigger than life » est une expression américaine bien connue, pour qualifier une personnalité un peu hors du commun. En transposant l’expression à A2H, on pourrait dire qu’il est « plus grand que le rap français ». En effet, depuis l’aventure Coconut sunshine et ses accents grimy, il n’en finit pas d’étendre sa palette artistique. Son nouvel album, « L’amour », propose un étonnant voyage musical à l’auditeur. Cumulant exigence et diversité musicale, « l’amour » a du coffre. Il méritait bien une interview fleuve.

Sur « Prélude avant l’amour » qui ouvre l’album, A2H nous prévient : « Je suis pas un rappeur, je suis A2 putain de H ». S’il sait toujours kicker et le prouve, sa formule va désormais bien au-delà. Inspiré depuis longtemps par le thème de l’amour et/ou du sexe sous différents angles, c’est très naturellement qu’A2 semble avoir trouvé l’appellation de son nouveau projet, au point qu’on serait tenté de l’accoler à celui du précédent, « Libre ». C’est peut-être « son côté hippie », qu’il reconnaît en souriant à la fin de l’interview, après un échange à bâtons rompus sur sa vision des relations hommes-femmes. Un thème certes inépuisable, mais rarement traité avec autant de finesse, dans cette musique dite « urbaine ». Un récit qui s’étire sur dix-huit titres, entre tranches de vie, humour et dose de féminisme évitant les postures démagogiques. Et ça, c’est déjà beaucoup.

Est-ce que tu peux revenir sur la naissance de ce nouvel album?

 A2H: On a commencé à s’y mettre à l’été 2017. C’est là qu’on a commencé à bosser sur l’album avec les beatmakers Ohleogan et Clurz. On a fait les premiers titres, avec Clurz on a fait « Baby », et avec Ohleogan on a fait « Nudes », qui sont les deux premiers titres qu’on a mis en boîte. J’avais déjà en tête l’idée de faire un album sur ce sujet, et puis j’avais envie de faire un album à thème, parce que j’avais envie de pouvoir faire tous les styles musicaux que je voulais.




Par rapport aux autres albums, c’était déjà très varié, mais là j’ai l’impression qu’on a atteint encore un niveau supérieur en termes de diversité.

Nous on s’impose pas de limites quand on fait de la musique. Les gens nous ont mis dans le rap, dans l’urbain, parce que c’est là d’où on vient musicalement, à la base. J’étais plus un rappeur, et on vient de banlieue, de cités, pour la plupart des gens de l’équipe. On est dans l’urbain, c’est notre vie. Notre musique est urbaine du fait de là d’où l’on vient, mais après je me considère pas réellement comme dans une case. On a voulu dire que j’étais un rappeur parce que j’ai rappé pendant pas mal d’années. Si demain je veux faire un skeud avec une autre couleur, je ne m’empêcherais pas de le faire. Je me voyais pas kicker pour parler d’amour; Quand j’étais ado, je faisais du rap, après j’ai fait du reggae, du dancehall, même un peu d’électro avec des potes, j’ai même joué dans des groupes de rock. Je suis tombé amoureux du rap, mais est-ce que je suis plus un rappeur qu’un guitariste ou qu’un beatmaker, pour moi je suis tout.

Mais avant l’interview, tu me disais que c’était surtout les médias rap qui te relaient, donc est-ce que cette catégorisation rap, elle ne limite pas ton audience?

Non, je pense qu’on peut cumuler les audiences. C’est juste que je ne suis pas identifié comme autre chose qu’un rappeur malheureusement, car je ne suis pas assez exposé. C’est dommage, car je pense que des gens qui m’ont connu avec « Can i kick it? », des freestyles avec l’Entourage ou des trucs comme ça. Alors que t’as vu, t’écoutes « Cache-Cache », mon gars on dirait du Indochine. Et ces gens-là, ils vont se rattacher à ce qu’ils connaissent, ils peuvent pas savoir que je joue de la gratte, qu’il y a des instruments, de la pop et du rnb. Et ça c’est lié au fait que les médias hors-rap parlent pas de oim. Je pense que les gens sont pas assez au courant que c’est pas que du rap. Les gens m’ont mis dans une case et ils sont pas revenus de ça, et du coup pour les re-convaincre, on a le double de taf à faire. Mais fuck, moi rien ne m’arrête, ça va pas m’empêcher de faire de la musique, parce que de toute façon, personne ne sait faire ce que je fais.

« Si t’es un mec de cité et que tu fais des reprises de Mireille Mathieu, tu feras de la pop urbaine quoi »

Lors de sa présentation aux médias, tu disais que tu avais construit l’album en trois parties, tu peux nous expliquer?

Oui, en fait il y a trois parties. Parce qu’il y a une partie qui est plus soul-groove, une qui est plus électro/années 80 avec de la pop rétro, et une dernière qui est plus urbaine et plus triste, un peu à la Post Malone, avec des rythmiques trap et des guitares sèches. Quand je dis « Post Malone« , c’est pour donner un nom, mais c’est tout le délire guitare sèche, genre « Blues« , « Pleurer sur le dancefloor« , « Parle-moi« , tout ça c’est des morceaux composé à la guitare, un peu rock.




Finalement tu cites Post Malone, qu’on considère un peu comme un rappeur.

Post Malone n’est pas classé dans le rap, sa certification elle est en soul-pop. Les américains ils arrivent à comprendre que c’est pas du rap, quand il va prendre ses certifs, il est pas en chanteur rap de l’année, il est en chanteur soul-pop-country de l’année, parce que c’est ce qu’il fait.

La pop urbaine, ça veut dire quelque chose pour toi?

Ça veut dire de la musique « easy-listening » pour ma petite sœur. Et ce n’est pas péjoratif, j’adore Aya Nakamura, j’adore Maître Gims, j’adore Dadju, y a pas de souci.

Mais Vianney, par exemple, ce n’est pas de la pop urbaine?

Bah non, ce n’est pas un mec de l’urbain. Pop urbaine, ça veut dire de la pop faite par des négros ou des arabes.

Donc ça n’a pas forcément de signification musicale?

Ouais grave. Si t’es un mec de cité et que tu fais des reprises de Mireille Mathieu, tu feras de la pop urbaine quoi (rires) .

Et tu ne te dis pas que t’as atteint un niveau maximum de diversité musicale sur un projet, là?

Je ne sais pas, j’ai pas l’impression d’avoir fait un truc trop divers. Quand j’écoute un album de Drake, il y a des morceaux à la « Hold on we’re going home« , il y a des morceaux piano-voix avec Sampha, il y a des morceaux de trap, il y a des morceaux de rnb pur et dur où il chante, il y a des morceaux où il kicke, là il vient de faire un son de reggaeton en espagnol. Je pense pas qu’on pose ce genre de question à Drake, moi je ne vois pas pourquoi je pourrais pas le faire.

Tu trouves qu’on est en retard en France?

Oui, on est en retard à la mort. Regarde Damso: dans son album il y a des morceaux de chanson française, il y a des morceaux de rap, il y a des morceaux un peu trip-hop, d’autres un peu trap. Nous on est en avance, tu mets cette musique sur la table, c’est pointu, parce que ce n’est pas facile à écouter. On se prend la tête en studio, on est musiciens, on travaille le son, le mix c’est très important, le mastering, les mises en place. J’irai pas me vanter d’être le plus grand lyriciste de la planète, parce que mon but c’est pas de faire des textes hyper engagés ou de faire des textes hyper chiadés lyricalement. Ce que je recherche c’est une mélodie, une émotion et je cherche à être dans la sincérité la plus totale. Il y a un certain engagement pour les femmes, parce que j’ai grandi avec que des femmes et que les problématiques des femmes je les connais. J’ai grandi avec ma mère et mes tantes, et ayant eu plusieurs histoires d’amour dans ma vie, j’ai eu envie de parler de ça. Et du coup je me sentais légitime.

Tu as toujours parlé d’amour et pas mal de cul, depuis le début de ta carrière, mais avant t’étais plus sur des émotions ponctuelles, que ce soit en positif sur des moments de plaisir, ou dans le négatif en chantant le dépit amoureux. C’est la première fois que t’évoques un peu plus le couple, dans sa dimension durable, non?

Oui. J’ai expérimenté moi dans ma vie privée, j’ai été en couple pendant longtemps, j’ai aussi eu des histoires sans lendemain. Là je me sens plus à l’aise, je sais de quoi je parle en fait. J’ai trente piges, je suis parti de chez ma mère quand j’avais seize ans. Je ne viens pas d’une famille qui a de l’argent, du coup je me suis toujours débrouillé. Et j’ai eu beaucoup d’histoires de meuf, c’est quelque chose qui a pris pas mal de place dans ma vie. Et du coup… l’album est pas fini hein, je vais faire une réédition de douze titres, parce qu’en vrai « L’amour » fait trente titres. Je vais faire une réédition avant l’été.

Sur la première partie de l’album il y a des inspirations p-funk, j’ai l’impression, t’as utilisé des moog (ndlr : marque de synthétiseur  ?

C’était pas un moog, c’était un Roland qu’on a utilisé, un Juno, et aussi un Yamaha, je sais plus comment il s’appelle, mais des synthés analogiques en tout cas. Il y a aussi des influences New Jack, comme sur « Comme elle vient ».

« Regardez, une meuf comment c’est pour de vrai. C’est pas comme vous voyez dans les films porno »

 A la fin de cette écoute presse, t’as précisé également que tout ce que tu racontais était vrai. Qu’est-ce qui t’a inspiré le titre « Moitié moitié »?

C’est simple, j’avais besoin de faire un morceau où je dis qu’une meuf n’a pas besoin de se justifier de sa vie sexuelle: si elle a envie d’être sexy, si elle a envie d’avoir des enfants, elle n’a pas de comptes à rendre aux hommes. Moi j’ai grandi avec ma mère, mes tantes, j’ai grandi avec beaucoup de femmes et pas d’hommes. Du coup j’ai grandi avec des femmes un peu meurtries par les mecs, avec de grosses carences et de gros problèmes affectifs. Et quand je me suis mis en couple, j’ai expérimenté un peu le truc et cetera, et j’ai vu qu’on était assez durs avec les femmes. Et ce morceau il faut qu’il soit bien compris. Dans le premier couplet, je suis en train d’exprimer comment la société elle nous a transformés. A cause des films porno, maintenant tu veux que ta meuf elle soit tout le temps bonne, tu n’acceptes pas qu’elle soit chill, tu t’es élevé avec Rocco et Ferrara.




Je ne suis pas en train de dire que je kiffe ça dans le morceau. Le fait que personne ne nous ait jamais parlé de sexe, on s’est éduqués avec Rocco et Ferrara, bah voilà, faut pas s’étonner qu’on se comporte comme ça, parce qu’on n’y connaît rien aux femmes. On est conditionnés par le porno, la performance, on est dans un état d’esprit de compétition, le premier couplet explique ça. Dans le deuxième couplet, c’est plus « je suis désolé si je me suis mal comporté, je sais à quel point c’est compliqué d’être une meuf, et t’as pas besoin des hommes pour décider ce que tu fais ». Même si tu kens avec 100 mecs, ça fait pas de toi une pute, et si tu kens qu’avec un gars, ça fait pas de toi une meuf frigide, tu fais ce que tu veux. Et c’est un morceau que je dirais féministe, je l’ai fait pour ma mère et mes tantes, en fait. Ce qui est cool, c’est que je m’attendais à ce que les gens ne comprennent pas, et en fait, la plupart des meufs qui m’ont envoyé des messages, à part une ou deux, j’ai reçu une quinzaine de messages de gens qui m’ont dit « merci d’avoir pris ces positionnements« . A part une ou deux qui se sont arrêtées au premier couplet, et c’est vrai que si tu t’y arrêtes, y a moyen de comprendre totalement l’inverse. C’est pour moi un des morceaux les plus importants de l’album, en termes d’engagement. Aujourd’hui j’arrive à faire la part des choses, je suis un grand défenseur des droits féminins, mais j’ai rien non plus contre tout l’aspect porno, les travailleuses du sexe, je les soutiens beaucoup, j’ai des amies à moi qui sont escort, call-girl, go-go danceuses, et allez-y les filles, y a pas de problème.

Moi je suis contre rien. Après, le morceau il dit aussi que pour moi et pour plein d’hommes, une femme idéale c’est une meuf qui serait à la fois ton actrice porno et à la fois la mère de tes enfants. Parce que ce n’est pas à dissocier en fait, une femme peut être les deux, faut arrêter de faire « oh non, moi je veux une meuf clean« , « oh non moi je veux une biatch« . Non mais ta meuf elle peut être clean, être une biatch pour toi et une femme très respectable dans la vie en général, c’est ça que je veux dire. Ce morceau c’est une réaction à plein de discours que j’entends, qui me choquent, et ce morceau c’est une réponse.

Il s’adresse autant aux femmes qu’aux hommes, en fait?

Pour moi il s’adresse aux jeunes, aux gens qui ne connaissent pas bien comment ça fonctionne. En parallèle à tout ça, je suis en train d’écrire quelque chose. J’écris un livre sur la sexualité expliquée et vue par les femmes. C’est un projet sur lequel je bosse depuis un an, là il commence à se concrétiser donc je commence un peu à en parler. Je suis allé récolter des témoignages à travers la France, dans mes tournées, dans mes déplacements, de centaines de femmes, qui m’expliquent leur vision et leur vécu par rapport au sexe. Un bouquin qui s’adresse aux jeunes, pour leur dire: « regardez, une meuf comment c’est pour de vrai. C’est pas comme vous voyez dans les films porno« . Dedans il y a des meufs qui racontent qu’elles ont passé quinze ans à faire l’amour à des hommes sans avoir un orgasme, et que l’orgasme il est apparu que quand elles avaient quarante piges, ou bien c’est jamais arrivé. Et puis il y a des meufs qui disent qu’elles n’aiment pas particulièrement faire l’amour, elles le font plus pour faire plaisir. Plein de positionnements, dont les jeunes ne sont pas courant.

Quand tu es ado, tu penses qu’il faut faire comme dans les films porno, tu la dérouilles, tu lui tires les cheveux, on y va, la performance. Pour l’instant, j’ai recueilli une cinquantaine de témoignages, je vais attendre d’en avoir beaucoup pour faire mon ouvrage. Et sur les cinquante témoignages que j’ai, il y a au moins trente meufs qui me disent qu’elles n’aiment pas se faire baiser violemment, alors que quand t’es ado tu penses que c’est ça. La plupart de ces genres de livres ils sont faits par des sexologues, des psychologues, des sociologues, et ça ne donne pas envie aux jeunes d’aller voir. Et je me suis lancé là-dedans, parce que si c’est fait par un mec du divertissement, ça va peut-être toucher et intéresser des couches de la société qui seraient pas allées lire un bouquin de sexologue ou de sociologue. C’est important pour moi tout ça, c’est pas que du divertissement en tout cas.




On ne se doute pas forcément de ton souci éducatif, si on s’arrête à ta pochette de « L’amour ». Tu arrives à articuler ça avec ton identité artistique?

Ce n’est pas facile à faire, car j’ai mon comportement, je suis un mec libéré, je n’ai pas de problème à parler de cul, et des fois les choses peuvent être mal vues. La plupart de mes potes sont des enfants d’immigrés, parler de sexe avec ses parents, ça n’existe même pas. Et il y a des gens qui sont un peu choqués par « Moitié moitié« , « Nudes« , je reçois des messages de gens. Alors qu’avant que l’album sorte, je suis allé tout faire écouter à ma mère, elle n’a rien trouvé de choquant. C’est une malgache de soixante piges, des fois elle faisait des petites têtes genre « oh la la« , mais normal.

Pour finir, quand tu disais que tout était vrai dans ton album, t’avais dit aussi en riant que certaines personnes allaient apprendre des choses. Est-ce que c’est par rapport à « Laura et Mélanie »?

Non, ça c’était il y a très longtemps, j’étais encore au lycée, il y a prescription. C’est plus par rapport à « Zizi vengeur« , où il y a la seule histoire dont je me dis que si la personne tombe dessus, elle va être choquée : c’est mon ancienne conseillère bancaire. Un jour, j’avais rendez-vous à ma banque. Elle ouvre la porte, et sans faire exprès, elle me touche un peu tu vois. Et dans sa nervosité, elle fait une blague, mais un peu tendancieuse, et moi je lui réponds: « oh mais ça m’a pas déplu« . Et là il y a une espèce de regard qui stoppe, et là je me dis: « soit je passe derrière le bureau, je lui roule une pelle et je tente un truc, ou soit il y a un moment de malaise que je laisse filer, et on fait notre rendez-vous« . Et moi dans ma folie, j’y vais et je lui roule une pelle. Et là on y va quoi, et je la déglingue sur le bureau, alors que la banque elle est ouverte, il y a des clients qui attendent leur rendez-vous. Et après je suis plus jamais retourné à la banque jusqu’à ce qu’on me change de conseillère. C’était sur le vif, ça ne m’était jamais arrivé de ma vie. C’était un délire.

(Crédits photos: John Riggs)