F430, la rue sans artifice – Check

F430, la rue sans artifice

27 janvier 2020

Triple Sept

Duo originaire des Tarterêts de Corbeil-Essonne, la cité au secret de l’autotune le mieux gardé de l’hexagone, F430 a clôturé l’année 2019 de la meilleure des manières avec un projet de 6 titres nommé “Street Quality”. Si le duo semble vouloir aujourd’hui ne faire plus qu’un, en unissant le côté sombre de Sensei à la lumière de Jet, l’histoire de ce groupe remonte à plusieurs années et puisent dans les tréfonds de ce qu’on catégorise aujourd’hui de “Galaxie PNL”.

C’est à la Brasserie Barbès, dans un Paris bloqué par la grève qu’on les retrouve quelques jours avant la sortie du projet, pour revenir sur l’origine de leur groupe, l’année passée et les ambitions de celle qui commence.

Check: C’est quoi l’histoire de F430 ?

Jet : En fait, au début il n’y avait pas vraiment de F430, on s’amusait juste à faire du son. Mon frère faisait des prods et il testait du matos avec nous, on était des sortes de cobaye. 

Sensei : On avait un petit home studio, on y testait un peu l’autotune, ça a du commencer vers 2014. On passait nos soirées là bas pour rigoler. C’était vraiment pas sérieux au début on était juste un groupe de personne qui passaient du temps ensemble.

J: T’aurais pu être là et faire partie de F430 si tu étais passé en cabine avec nous

Et à quel moment ça s’est recentré sur vous deux ?

J: En fait, vu qu’il n’y avait pas vraiment de structure, les gens n’étaient pas vraiment rigoureux. Il n’y avait que nous deux d’investis dans le truc, alors ça s’est fait naturellement.

Et aujourd’hui comment vous articulez vos différentes compétences en duo ? Qui s’occupe de quoi ?

J: Des fois on est ensemble en studio. Sur le premier projet, moi j’étais beaucoup en studio et Sensei beaucoup de son côté. On avançait par message mais c’était pas vraiment efficace. Là on est tous les jours ensemble.

S: En tant qu’indépendant on doit vraiment tout faire. Moi j’aime bien tout ce qui est paperasse, tout ce qui touche aux contrats et aux relations avec les médias etc… Tout ce qui est visuel ça vient surtout de Jet, il a une grosse culture dans ce domaine.

J: Moi c’est plus tout ce qu’il y a en rapport avec la musique, je parle avec tout le monde, les réalisateurs, les beatmakers, pour avoir le plus de contact possible

Comment vous avez commencé à approcher le monde de la musique ?

J: Mon frère est beatmaker, il s’est retrouvé avec un ami qui lui donne un micro, des enceintes etc… 

S: Du coup, on a fait un petit home studio chez mon père. Au début c’était vraiment pour faire des beats, mais moi j’avais déjà un passif en solo, je taffais un peu des trucs avec lui et c’est là qu’on a commencé à tester l’autotune pour voir ce que ça donnait. Quand Jet a commencé à passer avec les potes, j’ai compris qu’il avait une vibe de malade. Alors j’ai dit à son frère “il faut qu’on essaye de faire quelques morceaux avec lui” pour voir. On a commencé à faire des petits sons et très vite ça a donné quelque chose.

J: j’ai toujours écouté du son donc c’est venu tout seul à force.

Et la transition avec l’autotune et le cloud ?

S : Ça s’est fait naturellement, j’ai évolué avec la musique, elle a changé. Il n’y a pas vraiment de transition

J: Si t’aimes la musique, t’es obligé d’avancer. Booba à l’époque de 0,9 moi je trouvais ça lourd de ouf. Green Money aussi, pour moi ce mec là il allait être numéro uno. On savait repérer les artistes qui innovaient. C’est comme au states on peut te faire écouter des mecs qui font 1000 vues mais qui ont des vibes de malades.

On a pu vous découvrir sur le morceau “Que la mif” dans « le Monde Chico », Lazeur définissait F430 comme étant :

“F pour le Flow, 4 pour les sorties de pots, 3 comme Ralph Lau, 0 poucave dans mon ghetto”

S: À ce moment, F430 c’était Jet, Lazer et Senders qui sont sur le morceau. Moi je n’étais pas encore là à cette époque.

Ce morceau c’était une sorte d’introduction à ce qu’on appelle aujourd’hui la « galaxie PNL », et qui s’est bien développée depuis, entre vous S-Pion, la MMZ, vous venez tous des Tarterêts comment tout ça a commencé ?

J: En fait plein de gens du collectif faisait pas de rap au début. C’est surtout arrivé parce qu’il n’y avait que mon frère qui savait gérer l’autotune. Du coup tout le monde est venu bosser avec lui. 

S: Moi je l’appelle “le visionnaire” cet enfoiré, parce qu’avant même que ça marche il disait “ouais les gars c’est ça qu’il faut faire”, moi j’avais pas encore fait la transition, il me disait “tu verras, tu comprendras plus tard”.

Parce que dans cette Galaxie PNL, il y a une réelle vibe Tarterêt. Vous êtes très facilement reconnaissable.

J: Ouais ! Après chacun à ramener sa touche, mais le truc de poser avec de l’autotune c’est vrai que c’est particulier. Nous on avait vraiment un autotune réglé à la perfection, depuis des années. Et quand on allait dans des grands studios parisiens on retrouvait pas ce niveau de réglage, on pétait les plombs du coup on rentrait chez nous. Il fallait obligatoirement rentrer dans ce studio pour pouvoir réussir à faire ça. C’est vraiment une salle du temps. Après on avait que l’autotune de bien réglée, la qualité du studio c’était vraiment pas ouf.

Et en tant que proche, comment vous avec vécu l’année assez exceptionnelle que les deux frères ont réalisée ?

J: C’est que du plus, il y a 7 ans jamais on aurait imaginé que ce quartier serait mis en avant, même le département.

Pour vous, il y a une explication à cette explosion des sorties du 91 dans le rap français ?

J: C’est chacun son tour !

S: Ouais c’est le destin. En tout cas c’est une fierté, quand je pense aux anciens de chez nous qui rappaient et qui n’ont jamais eu l’exposition qu’ils méritaient, c’est une réponse sur le temps. On est la génération d’après et ça pète enfin.

On a pu aussi vous retrouver en première partie du Bercy de PNL, déjà ça fait quoi en tant que jeune artiste de se retrouver sur une scène qui est l’aboutissement de beaucoup de carrières ? 

J: C’était notre première scène. Commencer par un Bercy c’est particulier. Là y’a plus rien qui nous fait peur. Après on le fera peut être plus jamais, c’est un truc de ouf. Surtout que nous, il y a deux ans, on était rien.

S: On se rend pas compte sur le moment, l’ambiance était détente, c’était avec la famille. Quand tu es sur scène t’es complètement déconnecté, c’est dur de se rendre compte. C’est après quand tu descends et que tu atterris que tu comprends ce qu’il vient de se passer.

Ils viennent d’annoncer leur tournée pour l’année prochaine, est ce que par hasard on pourra vous y retrouver ?

J: *rires* ils bossent, ils bossent, on en sait rien.

S: Peut être que nous aussi, on sera en tournée !

On se retrouve donc pour la sortie de votre EP “Street Quality” qui sort vendredi, vous avez hâte que le public le découvre ?

S: Ouais c’est chiant d’attendre

Comment vous avez construit ce projet ?

J: On pouvait sortir un album là si on voulait, on a beaucoup de son. Mais on voulait continuer à travailler

S: Quand on a regardé quand on avait drop le dernier single, on a vu qu’il s’était passé pas mal de temps. Donc on s’est posé, on a regardé et on a vu qu’on avait beaucoup de titres. On s’est fait la réflexion de se dire qu’il fallait plus de temps pour sortir un album. Parce que plus on fait des sons, plus on en efface d’autres. Donc on s’est dit « viens on fait un petit projet, genre 6 titres »

J: Ouais, à la place de sortir des singles sans raisons, pour bien finir l’année. Le combo single, clip ça devient relou à force, là on voulait faire un petit cadeau pour les fêtes. Comme ça, ça fait 2 bons projet en 2019. On s’est dit ça y’a même pas 6 semaines, c’est super récent. On voulait donner quelques chose de bien aux personnes qui nous écoutent.

Vous définissez le but de votre premier projet “ Thanks you God”, comme étant l’envie de réussir et de s’en sortir. C’est quoi le but de celui ci ?

S: C’est moins réfléchis je pense

J: Déjà la priorité c’est de sortir de la qualité, au niveau des prises de voix, du mix, des prods…

La rue, c’est quelque chose que vous revendiquez, mais que vous condamnez aussi. Dans réel on peut vous entendre dire “J’viens d’une cité et je m’en vante pas”. Y’a ce truc dans le rap de plus revendiquer la rue qu’autre chose aujourd’hui voir trop, alors que vous le dites “Tout en sachant que le rap c’est pas le hood”. Vous en pensez quoi du game d’aujourd’hui ? De ce qu’il se dit dans les textes

J: Moi j’aime pas trop parler sur les gens, chacun fait ce qu’il veut. Moi je regarde des séries et l’acteur c’est pas vraiment un bandit.

S: Ouais, si y’en a qui veulent partir dans l’acting c’est leurs problèmes.

J: Moi j’aime bien le rap qui se fait en ce moment en plus. Mais le quartier ramène pas que du négatif, se vanter d’être un gangster ça sert à rien.

C’est un truc qui je pense est arrivé au sommet avec PNL, cette glorification de la vie de quartier, qui est reprise par toute une jeunesse qui ne la connait pas forcément. Quand on voit tout le monde faire des storys avec la misère est si belle on peut se poser des questions souvent, sur ce rapport à la misère. Vous en pensez quoi vous ?

S: Ouais mais derrière, il y a un putain de message.

J: Moi j’ai remarqué que les gens ils aiment les histoires, ils aiment ressentir un vécu, quand on leur raconte quelque chose. Nous c’est ce qu’on fait, on raconte nos vies sans en rajouter. C’est comme ça, c’est notre style. Raconter comment on vit, donner de la force et de l’amour.

D’ailleurs vous commencez le projet par “ on voit les choses un peu différemment, tu veux la vérité mais tu sais pas l’entendre” c’est de cette vérité, de la désillusion de la vie de quartier dont vous parlez?

J: Après nous justement on attends que ça de se faire entendre, c’est ce qu’il nous manque !

Votre premier projet « Thank you God » est sorti il y a un an, qu’est ce que vous en retenez ?

J: Ça nous a montré qu’on pouvait le faire, c’est déjà beaucoup. On y croyait pas au bout d’un moment. C’est même pas la musique, mais tout ce qu’il y a autour, on y pensait pas à tout ça. On savait pas que c’était dur à se point là. On est que deux tu vois ? Là c’est bon on a réussi à s’entourer. Et on a pu voir que les gens apprécient ce qu’on fait. C’est que du plus et ça nous donne de la force pour refaire des projets, on a pas dormi cette année c’est un truc de ouf. 

Qu’est ce que vous avez voulu changer, améliorer dans Street Quality ?

J : Les vibes des prods, et donc des sons et des toplines

S: Et dans la méthodologie de travail, tu verras qu’on va commencer à beaucoup plus se partager les morceaux, s’échanger les couplets. Jet pour moi c’est un des meilleurs hook makers de France, il a eu une grande place sur Thank You God, sur les refrains. Donc moi aussi je vais essayer d’apporter un peu plus ma patte, on va essayer de s’équilibrer.

J : Le but, c’est vraiment fusionner, devenir une seule personne à nous deux.

Il y a beaucoup de mélancolie et de tristesse dans ce projet, on ressent le poids de l’âge à travers vos couplets, vous êtes autour de la trentaine et ça se ressent dans les textes. Dans “Tombé bas”, Sensei tu dis “Nan j’suis pas devenu celui que je voulais être”. Qu’est ce que tu voulais être ?

S: Franchement, j’avais trop de rêve … Quand j’étais petit, je voulais faire trop de métier différents. Mais de base, c’était comme tout le monde, Footballeur, mais j’ai eu des idées bizarres, genre écrivain ou avocat. 

Et qu’est ce qui t’a empêché de devenir ce que tu voulais être ?

S: Rien, c’est moi je pense. Après c’est la vie, le temps qui passe. Même en rapport avec la musique, entre 17 et 19 ans j’étais déter pour mener une carrière en solo. Après à 20ans j’ai eu mon premier enfant, c’est la vie qui fait que en fait.
Il y a justement ce rôle de père qu’on retrouve aussi dans ce projet, dans Japanese “mes enfants me manquent le soir” ou “comme j’aimerais que ma fille voit les fleurs de cerisiers”, vous l’êtes tous les deux ?

J: C’est ça

Et ça a changé votre vision de la vie, de la rue ?

S: Bien sûr, les responsabilités sont décuplées par 10 000, après tu vois plus rien de la même manière. Tu sais pourquoi tu te lèves, et pourquoi tu te bats tous les jours. C’est que du plus

Et vous, vous les avez déjà vu les fleurs de cerisiers du Japon ?

S: Pas encore, malheureusement. C’est mon plus grand rêve, moi qui suis un bousillé de culture nippone depuis tout petit. Je suis de 88, donc de la génération club Dorothée. ça a commencé avec Dragon Ball Z, Ken le Survivant, Olive et Tom et toute ces conneries. Donc je suis rentré par là, comme beaucoup de ma génération. Mais avec le temps je me suis intéressé à plus de choses, genre au lycée je me suis intéressé à leur littérature, à leur culture, leurs histoire, les samouraïs, le rapport à l’honneur. C’est des gens qui sont formatés, c’est des charbonneurs. Dans leurs éducation on les prépare à devenir des charbonneurs, mais c’est aussi pour ça que c’est le pays avec le plus haut taux de suicide. C’est parce qu’il y a une espèce de pression sociale. Je suis vraiment bousillé par le Japon, c’est aussi pour ça que je me suis surnommé Sensei.

On termine 2019 dans quelques semaines, quel aura été le bilan de cette année ? Qu’est ce que vous avez prévu pour 2020 ?

J: Dans 10 ans j’espère que je serai un bon producteur, avec deux ou trois artistes. 

S: C’est pour ça qu’on a ouvert un label, dès le début. Pour s’autoproduire surtout, mais dans le but de produire à court terme, mais c’est pas encore le cas.

J: Moi je peux pas produire quelqu’un si je fais encore du son.

S: Sinon, le bilan de l’année il est cool, un premier album qui n’est ni une réussite, ni un échec commercial, qui est un succès d’estime validé par une partie du public et les médias. Et un deuxième projet de transition en attendant la suite. Après à partir de maintenant, c’est tout en beaucoup plus fort. Pour le moment, on est impatient d’avoir des retours.

Triple Sept

Quand il ne met pas à jour sa belle playlist ("La Ligne 12"), Tim alias le Triple Sept ou 777 fait de la vidéo et des articles de qualité pour Check.