Gutti réveille le rap belge – Check

Gutti réveille le rap belge

22 juillet 2020

Martin Vachiery

Cette fois elle est bien là, prête à exploser: cette fameuse relève, ou deuxième vague belge, qui s’agite dans l’ombre depuis plus de deux ans. Parmi ceux qui pourraient incarner le renouveau d’une scène en évolution permanente, Gutti incarne à la perfection l’exception culturelle bruxelloise. Son offre artistique est originale et créative, le personnage est charismatique, rencontre exclusive pour Check avec Martin Vachiery.

« Gutti – Gutti World 2″ Réalisé par Pablo Crutzen Diaz, Production : Maïs Gâté »

En un seul clip (Gutti World 1), il est parvenu à attirer l’attention du public rap à Bruxelles. Une communauté particulière, où artistes, compositeurs, DJ, public et fans se mélangent, avec un radar à nouveautés particulièrement affuté. A l’heure où la scène compte autant de rappeurs que « d’experts », depuis plus d’un an, tout le monde guette les sorties pour savoir « qui sera le prochain ? ».

Chacun à son favori dans ce jeu. Une nouvelle génération incarnée par des artistes aussi différents que Geeeko, Frenetik, YG Pablo, Green Montana, Bakari et maintenant Gutti.

A l’instar de la vague belge de 2016-2017, la nouvelle génération est hétéroclite, mais avec la force et la conscience d’avancer en équipe quand l’occasion se présente. Chaque artiste de cette « nouvelle vague belge » sait qu’il y a un coup à jouer, surtout à l’heure où les maisons de disque françaises signent des contrats par dizaines, sauf qu’ici, personne n’a l’intention de se faire braquer.

Direction les studios de Berry, producteur bruxellois hyperactif (il vient notamment de composer le dernier morceau de Booba « Dolce Vita »), chez Wazana Records, près du quartier étudiant à Ixelles. Le rendez-vous a été fixé avec une autre figure incontournable de la scène belge: Stan, ex rappeur, devenu manager multi-cartes de différents artistes, dont Isha et maintenant Gutti.

Gutti, on l’a découvert un peu tard, il faut être honnête. Quand Stan et Isha partagent sur les réseaux un visuel avec une terre en forme de fessier, habillé d’un string… ça nous a attiré l’œil (bah bravo…). Mais passée la curiosité, la claque musicale est instantanée sur Gutti World 1.

« La BA me met des claques, pour que je donne des noms », pas besoin de se poser a deux dans un canapé pour en faire des caisses et livrer une analyse éclatée, la première écoute s’impose d’elle même: le son est bon.

Alors qui est derrière ce petit OVNI ? Rencontre.

Martin : Bon, on va vraiment commencer par le début, parce que tu n’as pas encore fait beaucoup d’interviews, t’es prêt pour ça ?

Gutti : Je sais me débrouiller… J’ai de la repartie. Moi c’est Gutti, 24 ans, jeune artiste bruxellois qui vient de débuter sa précoce carrière, une longue carrière on espère. Pour l’instant je vais essayer de montrer aux gens ce que je sais faire.

Tu fais partie d’une nouvelle génération d’artistes très prometteuse, qu’est-ce qui te donne envie de réveiller le rap à Bruxelles 

Déjà moi je suis fier de Bruxelles, j’ai grandi ici (à Anderlecht). Je représente tous ceux qui vivent plus ou moins la même vie. Les jeunes. Avec cette nouvelle génération, on apporte un nouveau souffle. On apporte aussi de la musique très diversifiée. Franchement, je suis prêt à montrer toute l’étendue de ma musicalité.

Tu as écouté des artistes d’ici quand tu étais jeune ?

Bien-sûr, j’ai écouté Gandhi. Romano Daking, qu’il repose en paix. Et j’ai aussi écouté Jones Cruipy. Franchement j’ai plus écouté les rappeurs bruxellois que les rappeurs français, dans ma jeunesse. Après, quand j’ai grandi j’ai vraiment appris à découvrir tout ça. Mais à part Booba, je connaissais pas trop les rappeurs français.

Tu as commencé la musique un peu par hasard, non ?

Commencer la musique c’est un grand mot. Mais je m’y suis mis de manière inconsciente. J’étais déjà dans cet état d’esprit, dans la sphère de la musique de par mes cousins. Qui eux allaient déjà au studio, je les accompagnais très jeune. Donc pour moi chez nous c’était déjà un réflexe. Parce que la première fois que j’ai été au studio j’avais 10-11 ans et je le voyais faire, j’aimais bien comment ils rentraient, ils faisaient le morceau, et je voyais le rendu final. Mon premier morceau je l’ai fait j’avais 13 ans, c’était juste pour essayer avec des amis…

Là aujourd’hui t’arrive avec un genre musical qui est assez original, je trouve ça riche d’avoir une proposition artistique et pas un copier-coller de ce qui se fait déjà ailleurs.

Oui bien-sûr, déjà de base la musique que j’écoute c’est pas vraiment une musique qui s’écoute ici. Moi je suis plus branché vers les States etc. Même en US j’écoute des choses spécifiques, donc j’ai d’autres influences par rapport à ça et j’essaye toujours de dans mon univers. Il y a des mélodies que j’aime bien et que j’essayes de transcrire dans mes morceaux. Je n’aime pas que ça sonne comme du déjà-vu.

Sans transition, sur les sons qui sont déjà dispos sur les plateformes, j’ai l’impression que tu parles quand même beaucoup de ta b*te et de cul, quel message tu cherches à nous faire passer là ?

(Rires) Nan mais ça dépend, la b*te et le cul c’est ce qu’on utilise tous les jours. Donc j’essayes juste de partager mon point de vue par rapport à ça en fait.

Martin : C’est quoi ton point de vue alors ?

Gutti : Bah la b*te ça rentre dans le cul (Rires)

Je crois que je vais garder ça pour le titre ! (Finalement non) C’est drôle parce que peu de rappeurs osent vraiment parler de sexe, ou alors de façon un peu légère, toi ça à l’air d’être un sujet avec lequel t’es à l’aise.

Franchement, je pense qu’on est dans une génération ou c’est plus tabou. Avec tout ce qu’on a comme réseaux sociaux etc. Obligé dans une journée on voit des culs, donc franchement je suis à l’aise avec ça. Je vois pas de mal avec ça. Surtout si c’est pris au second degré, pour moi c’est pas vulgaire.

A quoi il ressemble ton feed instgram justement, quand tu scroll les photos ? Parce que là je t’imagine comme ça à l’infini, voir des culs des culs des culs passer et puis tu te dis « bon maintenant on va a studio ! »

(Rires) J’avoue dans mon feed il y a beaucoup de meufs (et beaucoup de foot). Quand j’écris, j’aime avoir l’image donc j’aime bien les punchlines imagées. Et aussi avec tout ce qu’on voit tous les jours, tout ce qu’on s’envoie, ce qu’on se dit, c’est vrai que ça joue.

Pour être plus sérieux, le sujet que tu abordes dans Gutti World 1, même si c’est fait avec un peu d’humour, ça parle aussi de violences policières. C’est quoi ton rapport à ça ? Tu penses quoi du fait que la lutte contre ces violences soit devenue un mouvement global ?

Je ne suis plus trop exposé à ça, à ce genre de vie par rapport à avant. C’est quand même un bon mouvement parce pour une fois qu’on peut enfin être solidaire pour un but commun. Pour avoir subi des contrôles etc, c’est aussi le moyen pour montrer au monde que parce que je suis noir on va être plus sévère dans le contrôle avec moi par préjugé. Je peux être la même personne et avoir une autre couleur, je ne pense pas que j’aurais le même traitement. Je pense que tout ce mouvement qui vient ici, c’est aussi une façon de montrer au peuple qu’on devrait avoir les mêmes privilèges dans un contrôle de police.

Est-ce que tu penses que c’est aux rappeurs en particulier de prendre position ?

On est des personnages publics, on a une influence sur les gens donc un rappeur qui parle de ça va surement toucher son public qui lui peut relayer auprès d’autres personnes. Prendre position pour des choses pareilles c’est toujours honorable et ça fait partie du quotidien, on a un certain devoir de citoyen.

On sort des années où le rap avait un prit un tournant plus festif, léger, ego-trip, et c’est peut-être un réveil vers la volonté de discuter de sujets plus sociaux…

Bien-sûr. Surtout que ces derniers temps on vit une période assez complexe, que ce soit avec le Covid ou toutes ces choses qui arrivent. Ne pas prendre position serait un peu hypocrite et faux. Donc je pense que après chacun son degrés d’engagement mais ne fut-ce que prendre position et dire ce qu’on pense c’est déjà beaucoup.

En parlant du confinement justement, ça t’a aidé, ou ça t’a freiné dans ton développement ?  

Perso ça ne m’a pas aidé et ça m’a freiné, parce qu’avant le Covid j’avais beaucoup de mooves à faire par rapport à ma jeune carrière vu que je suis en développement. Mais il y a aussi eu des points positifs parce que j’ai pu me concentrer sur ma personne et ma direction en tant qu’artiste aussi. C’est très important de savoir où on va. Quand les choses vont trop vite, ça ne permet pas d’avoir un certain recul. Ça m’a freiné pour des délais et des échéances, mais niveau personnalité et maturité ça m’a aidé.

Tu te sens bien entouré là ?

J’ai choisi les personnes qui reflètent aussi ma personne donc je me sens en sécurité. Je me sens aussi entouré de plusieurs « moi-même » en fait. Tu vois ? Le plus important pour moi c’est d’avoir une bonne équipe et je l’ai, je suis content. Je passe ma vie au studio en fait, j’ai un gros stock de morceaux. Ma priorité maintenant c’est de pouvoir sortir des sons, sortir des clips et vraiment montrer aux gens ma couleur musicale. Leur faire partager mon art, ma façon de faire, de voir les choses aussi. Pouvoir voir l’intérêt que ça suscite et aussi évoluer. J’aimerais que ma musique se répande.

Tu es satisfait des premiers retours ?

Depuis Gutti World 1, j’ai eu que des bons retours. Des retours aussi inespérés, parce qu’il y a des gens dans la musique qui sont déjà installés tel que Roméo Elvis qui ont relayé mon son, puis le fait de bosser avec Isha et d’autres pros de la scène rap belge, c’est une forme de reconnaissance, je me dis que avec un morceau ils ont aimés. Donc ça me donne envie de continuer. Leur donner le deuxième, le troisième Gutti World et peut-être plus !

Jusqu’à combien ?

On va voir…  Vous devez jouer le jeu aussi.

Il faut au moins une trilogie quoi.

C’est ça, minimum.

Tu parlais de Roméo, j’ai justement vu pleins d’artistes qui ont relayés tes sons. Il y a une énergie positive en Belgique, particulièrement en ce moment. Tu ressens la même chose ?

Totalement. Après je ne sais pas si c’est l’effet confinement qui a fait ça, mais je sens vraiment une vague positive qui est en train de s’installer petit à petit. Les grands ils vont vers les petits et ça franchement c’est quelque chose qui me manquait. C’est ça aussi qui va rétablir l’équilibre pour créer un vrai Rap Game belge. On parle toujours de la France, moi je suis toujours persuadée que en Belgique avec tous les artistes qu’on a, si les gens continuent à jouer le jeu, on peut créer un mini Rap Game qui pourrait nous aider à vivre de ça ici, sans devoir passer par la France.

Il y a eu la vague vers 2016-2017 avec les artistes dont Roméo, Hamza, Damso… Là on attend la 2e vague, notamment pour espérer des succès commerciaux aussi.  Et maintenant il y a un côté un peu plus collectif qu’avant, donc c’est le bon moment non ?

C’est ça ! Et puis surtout si nous on le fait ça va encore ouvrir des portes à d’autres artistes qui vont venir par après. Parce que moi je trouve ça dommage pour une ville qui a beaucoup de bons artistes qui sont expatriés d’ici mais qui réussissent bien en France. Il faut construire ici aussi ! Il faut des disques d’or belges, avant de penser au développement en France.

Ça doit venir d’ici alors ?

Chacun sa carrière et sa trajectoire… Mais moi je pense que par rapport aux artistes belges qui sont en développement, les labels belges pourraient prendre un peu plus de risques, d’investissement dans le développement en fait. Faudrait pas attendre qu’un artiste belge fasse autant de vues, qu’il soit convoité par la France pour pouvoir se dire, tiens il y a un artiste chez nous qui a signé. Je pense qu’ils devraient creuser un peu plus, certes c’est des risques, mais c’est que comme ça que les labels belges pourront avoir leur artistes belges chez eux avant qu’ils soient expatriés en France.

Pour développer ce fameux game belge, il faut échanger, collaborer, monter des équipes… c’est quoi la recette ?

Je pense que c’est surtout les échanges entre plusieurs petites équipes. Par exemple dans nous notre équipe, on travaille bien on essaye de proposer quelque chose de différent, une équipe d’un autre artiste belge aussi etc… Et puis des fois on fait des featuring pour s’échanger quelque chose, s’échanger le public, s’échanger la musique aussi, se partager aussi quelque chose. Je pense qu’avec des petits mooves comme on pourrait créer quelque chose… Créer de l’engouement pour les auditeurs belges qui nous écoutent. En fait c’est nous qui devons créer ce rap game belge, avec tout ce qui nous entoure.

D’un point de vue personnel, tu as déjà une idée de la direction artistique donnée à ton projet ?

Bien-sûr, bien-sûr. Je suis vraiment accès trap mais j’aime beaucoup de sonorités différentes, que je vais pas dévoiler maintenant sinon c’est pas drôle. Mais franchement je pense que si les gens aiment bien ce que je fais, ils seront surpris parce que, ça va sortir…

J’ai l’impression que ça va drill…

Bien-sûr ça me parle. Surtout que j’ai beaucoup de famille en Angleterre donc c’est un genre que j’écoutais déjà. Le fait que ça vienne ici aussi, c’est des choses qu’on essaye d’exploiter. Mais je vais pas trop en dire (rires).

Faut se préparer pour la drill belge alors ?

On va voir !

On souhaite énormément de succès à Gutti, suivez le sur ses réseaux, écoutez du rap de Belgique (et de partout).

Crédits photos: Adèle Boterf

Martin Vachiery

Journaliste bruxellois spécialisé dans la culture Hip Hop, Martin Vachiery a également travaillé pendant 8 ans à la rédaction de RTL Belgique. En 2011, il réalise le premier documentaire consacré au Rap bruxellois: “Yo ? Non, peut-être!”. En 2013, il anime ensuite pendant un an le “Give Me 5 Show” une émission de radio spécialisée en Rap belge, diffusée sur Radio KIF puis FM Brussel (devenue Bruzz). Après avoir collaboré avec de nombreux artistes de la scène belge sur différents projets culturels, il est aujourd’hui en charge de la ligne éditoriale et de la programmation musicale de Check.