Au studio avec la crème du Rap marocain – Check

Au studio avec la crème du Rap marocain

4 avril 2019

Check

Un an après leur passage remarqué en Europe, avec un concert mythique à la Bellevilloise, le collectif marocain ultra créatif Naar était de retour, au Trabendo cette fois. Une nouvelle démonstration de force pour une scène en plein essor, avant de s’attaquer à Bruxelles pour un concert unique au Botanique. On a envoyé le Triple 7 à la rencontre de ces artistes.

Je retrouve le collectif marocain Wa Drari, dont font partis Shayfeen et Madd. La rencontre est prévue en studio, un dimanche soir, quelques jours après leur passage au Trabendo. Pendant que Madd et Small X enchainent les aller-retours en cabine pour enregistrer des séries de topline avec une aisance déconcertante, Shobee m’a accordé quelques mots pour revenir sur le parcours de son groupe Shayfeen, celui de son petit frère Madd et plus généralement de la scène marocaine.

Alors déjà, est-ce que tu pourrais te présenter au public francophone ?

Je m’appelle Shobee, je viens du groupe Shayfeen et du collectif Wa Drari Squad où on peut retrouver Madd aussi. On est à Paris pour lancer le Safar Tour et présenter le projet qu’on a construit avec Naar.

Ça va faire 14 ans que ton groupe Shayfeen existe. Vous êtes originaires de Safi, une petite ville du Maroc que vous décrivez comme maudite, est ce que le rap a été un moyen de combattre l’ennui auquel vous étiez condamnés ?

Ouais, c’était un moyen de survie pour nous, de sauver la mise. Il fallait réussir à faire quelque chose de concret de notre temps dans cette ville. Après y a l’amour de la musique aussi, c’est quelque chose avec Small qu’on a toujours eu. Même avant de venir à Safi, j’étais dans une autre ville et j’écoutais déjà du rap américain, j’ai vu que y’avait un petit mouvement qui était en train de se créer au Maroc, et ça m’a motivé.

Quand vous avez décidé de quitter le foyer familial, j’ai lu qu’il vous arrivait de dormir dans la rue et de manger une fois par jour pour faire de la musique.

On était parti à Marrakech mais on avait pas de quoi louer un appartement, du coup on dormait dans un studio. Mais quand y’a des sessions qui sont payées, le mec doit faire sa thune tu comprends, donc on sortait dehors à Marrakech, on passait nos nuits à roder.

C’était à peu près en quelle année ?

En 2012.

Pour vous démarquer de ceux qui venaient de Casablanca, vous avez rapidement tiré un trait sur le rap “conscient” pour vous consacrer au divertissement ?

Exactement ! En fait, à Casa, y avait des festivals et des rappeurs qui se faisaient des petits noms dans la scène, y’a le “Boulevard des jeunes” par exemple, qui est une grosse compétition où tu peux réussir à te faire un nom. Nous on venait de Safi et on avait rien. On était obligé de se démarquer, de créer des trucs qui choqueraient les gens, pour montrer qu’on avait un certain niveau et qu’on était prêt.

On a compris quand ça a commencé à marcher que les gens étaient choqués au point qu’ils croyaient pas qu’on était de Safi, pour eux c’était pas possible qu’on puisse avoir cette inspiration, cette connaissance musicale et technique. Nous on était là à peaufiner tout ça dans l’ombre, dans une chambre de Safi, et quand on sortait un clip on voulait que ça soit comme les ricains, on voulait que ça sonne haut niveau.

Comment t’as rencontré Small X ?

À Safi, fin 2005. On était dans le même événement avec son cousin, le rap nous a réuni. A la base Shayfeen, c’est un groupe créé par un pote et moi. Small nous a rejoint après, mais rapidement l’autre a arrêté, il s’est démotivé du coup moi et Small on a continué tous les deux.

Si j’ai bien compris, Madd c’est ton petit frère. À quel moment t’as senti qu’il voulait vous suivre dans cette aventure ?

J’ai toujours senti qu’il voulait le faire, je le savais, il avait la même dalle que moi. Il a commencé à sortir des sons et atteindre un niveau en 2013/2014 je dirais, mais il s’enregistrait sur cassette depuis 2008 !

Est-ce que t’as participé au développement de son personnage artistique ?

Nan, on est trop différent, j’ai peut être participé à sa médiatisation mais j’ai jamais voulu trop l’aider à progresser dans l’écriture, j’avais envie qu’il fasse ses trucs tout seul, qu’il connaisse le même charbon que nous on a connu au début. Après, si il arrive à éviter les trucs où nous on a galéré et perdu du temps, c’est bien pour lui, pour qu’il puisse donner toujours plus d’énergie dans la musique.

Dans votre développement on remarque une attention particulière aux visuels, que ça soit au travers des toits remplis de paraboles ou de votre style vestimentaire. L’Orient c’est un univers qui est utilisé de temps en temps par des Occidentaux, est-ce que c’est important pour vous de revendiquer ces paysages comme les votre en les utilisant le mieux possible ?

Exactement ! On sait que y’a des base qu’il y a partout, dans toutes les industries, faut avoir le pack et la touche visuelle en plus. On a toujours un oeil dans la réalisation de nos clips c’est vraiment une chose qu’on considère importante.

À quel moment vous avez compris le potentiel d’Internet dans la diffusion de votre musique ?

Au moment où on a blow up et les radios ont commencé à s’attendre à des morceaux. On avait un son de pop qui marchait bien en 2010, c’est le premier morceau qui nous a fait connaître, on était jeune et on faisait de tout style de musique. Du coup, toutes les radios s’attendaient à des sons pop. En 2012, quand on était encore des gamins, on a balancé une mixtape où on avait fait des sons de tous les univers qui pouvait passer en radio, y’en avait 4-5 qui tournaient. Mais les radios voulaient pas les trucs où on était au max.

Après en 2013/2014 on a arrêté de donner nos morceaux en radio. On a commencé à créer les sons qu’on voulait, avec les sonorités et message qu’on voulait et on les a balancé sur Internet. On a fait attention à ce que tout soit parfait, pour faire ce qu’on avait encore jamais vu au Maroc. On a fait des plans en drone en 2014, c’était la première fois que les gens voyaient ça ici. On a fait le premier million de vue du rap marocain, et on a continué. On a balancé les audios de notre ep et ils ont tous fait le million sur Youtube. 7 morceaux, c’est là qu’on a compris que y’avait un truc ! On essaie toujours d’innover, d’apporter quelque chose de nouveau à notre culture.

Spotify est arrivé au Maroc en Novembre 2018, est-ce que tu penses que ça va aider à développer l’industrie musicale ?

Au Maroc, avant pour gagner de l’argent avec la musique, c’était que les concerts et tout le monde n’en faisait pas. Nous on a eu la chance d’en faire beaucoup. Y’a la radio aussi mais t’es moins libre, et y’a Youtube. Mais maintenant le streaming commence et ça va apporter beaucoup à l’industrie et aux artistes en développement.

Y’a un rapport super important à la mélodie dans votre musique, vous faites attention à sublimer le fond de vos textes avec la forme non ?

Nous, on écoute de toutes les scènes, des américains, des français mais aussi des allemands, des scandinaves. La langue ça n’a jamais été une barrière pour nous dans la musique. C’est plus les paroles vraiment, nous les textes ils sont bien peaufiné, parce que y’en a qui se perdent dans la mélodie mais qui délaissent les textes. Nous, nos textes ils sont bien ficelés mais la mélodie c’est là où on prends le plus de plaisir, parce que ça traverse l’oreille plus vite que les paroles.

Vos textes sont écrits en dialecte marocain ou vous faites en sorte d’être compris par tout le Maghreb ?

En Marocain. Si les pays francophones et occidentaux nous acceptent, les pays arabes peuvent faire un effort. Après par exemple, dans le featuring avec Lomepal j’ai mis 4 phrases en français, dans un autre morceau la moitié du couplet en anglais. On essaye d’universaliser, on a toujours mis beaucoup d’anglais dans les refrains et les gimmicks et voulu avoir des titres courts simples et compréhensibles par tous. Sur Spotify quand tu cliques sur nos morceaux, tu sais pas avant de nous entendre qu’on va rapper en arabe.

On a l’impression que vous êtes en train de constituer une armée de rappeurs, que vous vous soutenez et travaillez tous ensemble. Après vous être imposés au Maroc, l’objectif est maintenant de traverser les frontières ?

Là ce qu’on fait aujourd’hui, on le fait avec notre squad depuis toujours. Après y’a Toto on l’a ramené avec nous deux trois fois, et maintenant il est en train de tout péter. On essaye de créer un réseau tentaculaire d’un maximum de personne dont le talent est exportable.

Est-ce que tu peux me décrire le Collectif Naar ?

Le but à la base c’était de défendre la culture visuelle arabe. Y’a plein d’artistes qui s’accaparent des concepts en prétendant que c’est eux qui ramènent ça en Europe, alors que ça existe déjà. Sauf que tu verras jamais les marocains qui font ça depuis longtemps. À la base ils sont venus faire des interviews, mais pas que des rappeurs, et ils ont compris que c’était un bordel la scène ici. Du coup ils se sont mis à contacter plein d’artistes. Nous on était les derniers à être appelé. Finalement, c’est avec nous qu’ils ont décidé de développer la ligne directrice du projet, parce qu’on est sur cette voie depuis toujours. On avait des connexions internationales, on était déjà structuré, on était un crew où chacun apportait sa propre connaissance sur l’industrie. On a rassemblé des connaisseurs, pour que tout le monde en tire le meilleur profit.

Comment vous gérez la production de vos morceaux ?

A la base c’était moi. Quand on était Shayfeen sans le Wa Drari Squad. Sur notre EP “07”, j’ai tout produit, mais au bout d’un moment je voulais rapper sur de nouvelles sonorités pour tester mes limites et on a commencé à traîner avec des gars fiables, qui se sont construit avec nous. Y’a 4-5 producteurs dans notre squad.

Y’a une forte communauté maghrebine en Europe, et particulièrement en France. Est-ce que vous voyez les featurings avec des artistes français comme une porte vers un nouveau public ?

Pour nous c’est notre premier tremplin, moi j’ai pas voulu venir ici, genre faire un concert comme ça et sortir mon projet. Il fallait qu’on fasse un projet tous ensemble pour présenter tout le potentiel du rap marocain et qu’après chacun commence sa carrière à sa manière. On a essayé de prendre de notre vision, celle de Naar, et celles d’autres rappeurs qui viennent tout donner, pour faire un sans faute et nous introduire en France et en Europe.

Il s’est passé quelque chose autour de Money Call, le feat avec Laylow.

C’est ce morceau qui a lancé tout l’aventure Naar. C’était la première sortie mais c’était le dernier son qu’on avait enregistré pendant la résidence je crois. Il nous fallait un son ambassadeur, c’est grâce à lui qu’on a pu signer l’album en entier. Y’a un truc important avec Laylow, déjà c’est vraiment un fréro, mais on a pas eu à faire une collab avec un gros rappeur pour que ça marche. Musicalement il est différent, c’était pas un gars avec qui tu nous voyais faire autant de vues, parce que beaucoup de gens peuvent ne pas comprendre son délire. Pour nous c’est la vibe qui créé des trucs de ouf, même entre nous en studio c’est la chemistry qu’on recherche. Ce morceau a montré qu’on pouvait laisser parler notre musique et que les gens pouvaient la comprendre.

Vendredi soir au Trabendo, vous avez annoncé à votre public un album SAFAR, signé chez DEF JAM, qui sortira en Juin avec beaucoup de featuring et de surprise tu peux m’en parler un peu plus?

Ouais ! Y’a beaucoup de featuring en plus de la scène marocaine, y’a un italien assez connu qui est l’acolyte de Sfera Ebbasta, un Espagnol, des Hollandais qui ont fait un son avec Small. Ce qui est beau c’est de voir que des mecs assez confirmés dans la scène ont fait confiance au projet, comme Lomepal, Dosseh, Koba la D, Hornet la Frappe et Nelick. Y’a aussi un américain et Jazz Cartier de Toronto. Y’a de toutes les scènes mais surtout la France parce que le projet est né ici.

Vous commencez une tournée européenne, le Safar tour, pour vous c’est important la scène ? Pour le moment, comment ça s’est passé ?

Lille c’était vraiment super, mais je savais que Paris ça allait être le feu. On avait des invités de ouf, tout le monde attendait la date. On a commencé tout jeune à jouer nos sons partout dès que y’avait une scène qui était accessible, pour faire de la musique et se connecter avec les gens. C’est vraiment important pour nous de venir défendre nos morceaux devant un public.

Article et photos: Triple Sept

Check

Check est une marque francophone de production de contenus urbains. Fruit d’une collaboration inédite entre le label Back in the Dayz, la société de production digitale Digizik et le journaliste Martin Vachiery, Check est une plateforme web qui met en lumière tout ce qui fait la richesse et la diversité d’une nouvelle culture urbaine. Un média curieux, impertinent et libre. Check rassemble, en impliquant les meilleurs artistes dans tout le processus créatif.