En planque avec Soso Maness – Check

En planque avec Soso Maness

18 mars 2019

Check

Figure emblématique des quartiers nords de Marseille, Soso Maness rap depuis ses 11ans. Après une longue pause dans sa carrière musicale, le rappeur est de retour pour défendre son premier album “Rescapé”.

Rapidement rattrapé par son passé dans les stups, le Marseillais devait se présenter ce matin à la prison des Baumettes pour une peine de 18 mois, il ne s’y rendra pas. A la place, nous nous retrouvons au “Corléone”, un restaurant de Paris qui a beaucoup fait parler de lui récemment. Sa patronne, une peintre qui profite de ce lieu pour exposer ses œuvres, étant la fille d’un tristement célèbre Toto Riina, un des membres les plus influents que la mafia Sicilienne ait connu. Entre Naples, Marseilles et Paris, Soso nous livre sa vision des quartiers nords, de la musique et de la prison.

On va commencer simple: tu peux te présenter en quelques mots ?

Soso Maness, artiste urbain des quartiers Nord de Marseille.

Dans ta première interview que tu as donné il y a quelques mois pour Yard, tu dis « avant, je ne sentais pas le besoin et la nécessité de faire une interview ». Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Tout d’abord je sentais pas le besoin et la nécessité de faire une interview parce que j’avais pas forcément autant d’envie de faire du rap, j’avais une vie décousue, le rap était au second voire au troisième plan. J’avais pas vraiment de chose à défendre.

Aujourd’hui je suis focus, je suis signé en maison de disque et j’ai un vrai discours à défendre pour essayer d’éveiller les consciences des jeunes des quartiers nord de Marseille.

Ton premier album s’appelle « Rescapé » parce que, sans le rap, tu serais mort ?

Certainement. Je pense que je serai mort comme une trentaine de mes amis, c’est fou ce que je te dis, c’est triste mais c’est réel.

Notre cerveau maintenant on a l’impression qu’il est habitué à ça, c’est là où ça devient dangereux, la guerre c’est devenu une banalité en bas. J’aurai pu y rester à de nombreuses reprises et ça peut encore m’arriver aujourd’hui hein … Parce que moi je répondrai toujours de manière proportionnelle à une attaque qu’on va me faire,  dès que ça va être avec des mots, je répondrai avec les mots, quand ça va être les poings ça sera avec les poings et dès que ça va être avec les armes, ça sera avec les armes…

Tu a commencé super tôt le rap (on peut entendre sa voix de collégien sur le morceau “La relève” en feat avec Intouchable de la Mafia K’1 Fry en 1999) pour ensuite arrêter et reprendre, à quel moment tu as eu l’idée de cet album et tu as décidé de te mettre dans la musique à 100%?

En 2017, quand je signe en maison de disque chez Sony. Pendant très longtemps je me voyais pas vraiment comme un artiste, je me voyais comme une arnaque, c’est terrible de penser à ça. La signature m’a permis de me mettre dans la tête que nan, y’a du talent, et que maintenant y’a toutes les opportunités pour essayer d’avancer et faire de la musique.

Tu as sorti ton court métrage “Rescapé”, il y a maintenant un an, est-ce que c’est entendre beaucoup de rappeurs s’inventer une vie qui t’as donné envie de raconter la tienne ?

(Rires) Ouais ! C’est fou hein ! Moi quand je vendais de la drogue, je les voyais parce que c’était des clients. Après c’est c’est selon mon humeur du jour, je peux être très ferme et dire que ce ne sont que des fatigués qui inventent des histoires, et des fois je vais me dire «ouais mais il est fort quand même». C’est l’éternel combat que mènent Sofiane et Soso Maness, le consommateur de musique et celui qui est de Fond Vert, qui veut éteindre tous les imposteurs.

Qu’est-ce que tu penses de l’impact des paroles d’un rappeur sur son public ?

J’ai vu beaucoup de personnes faire des petits larcins comme des cambriolages en étant hypnotisé par les paroles d’un rappeur, mais le rappeur il a son argent, il fait ses showcase et le soir il dort super bien. Avoir une grande tribune et donner des bons conseils c’est très compliqué. Y’a des gens ils vont essayer de revivre ce qu’ils écoutent.

Moi L.I.M et Salif je me suis bousillé à ça. Quand je guettais j’avais un mp3 avec une pile à l’intérieur, dans mes temps plein de 10 à 00h j’écoutais que Salif, il me donnait de la force.

On est le 8 mars 2019, ce matin à 7h30 tu étais convoqué à la prison des Baumettes mais tu as décidé de ne pas t’y rendre. Tu veux juste pouvoir sortir ton premier album et te rendre ou lutter pour rester en liberté ?

Faut comprendre qu’en France y’a des dizaines de milliers de personnes qui sont recherchées pour effectuer des peines, je ne me suis pas évadé, le jour où y’a un contrôle ils me prendront et me diront “Soso tu dois 18mois, viens les faire !” C’est tout ! C’est une affaire qui date de 2015, j’ai pas répondu à certaines convocations qui ont fait que de fil en aiguille je paye le coût.

Et ça arrive tous les jours en France, même à des gens insérés qui ont une famille et des enfants. Tous les éléments sont en ma faveur pour que je puisse rester dehors et aménager ma peine, j’ai plus aucune condamnation depuis 2015, j’ai la musique, ça serait tuer ma réinsertion.

Et tout ça c’est arrivé après l’annonce de l’album ? Tu penses que c’est un hasard ou c’est ce qui a fait qu’ils t’ont retrouvé ?

Je sais pas, ça serait fou ! Nous, les Maness, on est cramé mais je pense pas. Après quand j’ai été condamné la juge elle m’a dit “Ayez honte de vous, vous faites l’apologie du crime, du trafic de stupéfiant” et moi je lui ai répondu, je me souviens j’étais fou, “Oui mais Mme la juge, Robert de Niro il va faire des braquages dans Heat et le soir il rentre chez lui”, elle m’a dit “oui mais Robert de Niro il se fait pas arrêter pour trafic” (rires) Je sais que ça les embête beaucoup, on est en quelque sorte les porte-paroles d’une génération.

Entre nous, tu veux pas y retourner pour ne devoir recroiser la Surveillante ?

(Rires) J’pense qu’ils vont tout faire pour nous écarter. Après, avec tout ce que je lui ai mis dans la gueule depuis que je suis sorti, j’pense qu’elle va me faire la misère. Peut-être qu’elle m’a attendu ce matin, tu te rends compte ?

On se retrouve donc un jour où tu devais te présenter aux Baumettes, dans un restaurant connu pour ses origines mafieuses, est-ce que c’est pas ça la Franc-Manesserie ?

C’est exactement ça ! Là on est au restaurant Corléone, c’est un restaurant qui a fait coulé beaucoup d’encre ces derniers mois, parce qu’il a été ouvert par la fille du tristement célèbre Toto Riina, Lucia Riina. C’est une femme très courageuse et très vaillante de porter ce nom et de l’assumer complètement. Ce qui est fou c’est que mon premier titre s’appelle “Toto Riina” et 5 ans après je me retrouve proche du clan.

A cette époque là, t’étais pas du tout relié de près ou de loin à la famille Riina ?

Jamais de la vie ! Moi j’avais fait ca parce que y’avait “Il capo dei capi” la série qui avait bousillé notre génération. Et 5ans après dans les astres de l’axe Naple Marseille Paris on se retrouve ici !

Tu as dit que la prison pouvait être une chance, qu’il y avait 97 mauvaises raisons d’y être et 3 bonnes, tu peux développer ces 3 raisons ?

C’était plus une image, mais déjà pouvoir dire au revoir à des amis qui ont pris perpétuité, le fait de pouvoir se retrouver soi même seul, moi tu sais j’ai peaufiné mon anglais à fond pendant la détention, et enfin tu vois les gens qui sont là pour toi.

Y’a beaucoup de gens qui disent “quand j’suis rentré en prison y’avait personne pour moi” mais j’ai envie de te dire quand à minuit, je prenais ma paye, 300 euros par jour, je ne l’ai pas partagé avec les gens. Si je rentre, j’assume tout seul.

Mais dans ton cas, la prison ça peut être un héritage.

Ouais, on est 6 frères et on est 4 à être passés en prison. Mon père il n’a jamais volé une pomme de terre, c’est un travailleur, mais il rentre en prison en 1957 parce qu’il était du FNL. Quand il est venu me voir aux Baumettes il m’a dit “c’est pas pareil, toi tu est bien là !”. Il me voyait prendre du poid, être costaud je lui disais “t’inquiètes pas papa je vais très bien” et il m’a répondu “même si tu as un jacuzzi et une Playstation quand tu es en prison, tu reste enfermé”. Au delà de l’enfermement physique c’est l’enfermement psychologique qui est difficile. En promenade tu as beaucoup de fatigués, tu te demandes ce qu’ils font là. C’est difficile d’élever le débat avec certains, à part parler de shit et de scooter…

Je voulais revenir sur la polémique, dans tu as dis « J’ressors j’vends de la pure à Julien des Marseillais ». Elle en est où cette histoire ?

C’est le fraté hein ! Nan il a pas porté plainte ça va, ça s’est arrangé. Après je pars du principe que ça a fait un gros bordel cette histoire par rapport au personnage que je suis. Mais finalement tous les rappeurs ils parlent des gens, Booba de Mimi Mathy etc… Je l’ai pas menacé de mort, rien, mais ça a fait un truc de fou ! C’est un personnage public il a plus de deux millions d’abonnés sur instagram.

Quand tu étais incarcéré, tu nettoyais les parloirs et tu donnais tes revenus pour les Restos du Coeur, c’est important de ne pas perdre son temps en prison ?

Pour moi, le plus important dans la détention c’est d’en sortir plus intelligent ou moins con. Être là et ne pas essayer de s’élever intellectuellement, pour moi c’est que tu as perdu du temps, parce que t’es déjà en train de perdre du temps alors essaye au moins de faire quelque chose pour éclaircir les ténèbres. Tu commences à lire des livres, y’a des personnes qui passent des diplômes et qui font de grandes choses en détention. Moi le travail c’est une place en or, déjà d’une tu es payé, de deux tu bénéficies de grâce, on t’enleve de jour de prison par rapport au travail que tu effectue, de trois tu es beaucoup plus libre que les autres, tu sors de la routine parloir, balade, douche.

Et le jour où tu passes devant la juge d’application des peines, elle va voir que tu n’as pas eu de problème que tu as travaillé et fait en sorte de faire des choses pour le système carcéral.

En dehors de ça on retrouve cette l’importance du travail, quand tu parles de JUL par exemple, qu’est ce qui a changé dans ton processus de création pour arriver à cet album ?

C’est vrai que maintenant je m’impose une gymnastique rapologique. Tous les jours j’essaye d’écrire, noter des idées dans mon téléphone, écouter énormément de prod, et faire quelque chose que je faisais pas avant : “l’espionnage industriel” c’est à dire aller voir ce que font tous les autres rappeurs, que j’aime ou que j’aime pas, et si j’aime pas j’essaye de comprendre pourquoi ça marche.

Y’a un rapport assez étroit avec la mort dans ta musique, celle de tes proches mais celle aussi que “tu as vendu pour te venger de la vie” ? C’est quoi ton rapport à tout ça maintenant ?

“On a vendu la mort pour se venger de la vie” – Dans le Block X

Elle est bien cette phrase hein … Je vis totalement avec, je suis prêt à subir n’importe quelle situation dans ma vie, pour moi et mes proches. C’est triste ce que je te dis, mais notre ville c’est le contraste entre la beauté de Marseille et la violence des Quartiers Nord. C’est une concentration de quartiers collés les uns aux autres, c’est une poudrière.

Tu vois comment les choses, dans le futur ?

Je suis très pessimiste pour le futur, les petits de 10 ans ils grandissent au milieu de tout ça, nous on a pas grandi avec ça. Ils grandissent avec la guerre dans le cerveau. Moi tu sais j’ai un rêve, si je pète demain vraiment, et que je génère beaucoup d’argent j’ai un kiff ca serait d’ouvrir la plus grande bibliothèque de Marseille, dans les quartiers. Y’en a pas !

Donner l’opportunité à tous ces gens d’apprendre, d’aimer lire, d’avoir accès à des ordinateurs. J’ai déjà plein d’idées comme organiser des conférences tous les dimanches avec des personnes des Quartiers Nords qui s’en sont sortis, que ce soit des footballeurs, des avocats, des chanteurs. Faire grandir les petits avec tous les outils possibles pour qu’ils puissent s’élever socialement.

Donc c’est apporter un peu d’air exterieur dans les quartiers, parce que par exemple quand tu parles de Fond Vert et de son école qui se situe au milieu du quartier, tout est fait pour que les personnes soient condamnées à rester dans un périmètre de 300m2 toute leur vie.

L’école elle est entre 4 fours autour, le plus proche il est à 200 mètres. Il faut apporter cette vision de l’extérieur ! Si demain je pète ça sera le plus gros projet de ma vie et peut être le plus beau, j’espère que y’en a qui auront l’idée avant moi.

Y’a un featuring dans ton album qui risque de beaucoup tourner, c’est celui avec Sofiane, comment s’est fait le rapprochement ?

C’est quelques chose hein. Sérieusement c’est mon producteur qui a produit pour lui “Mon petit loup” et “Toka”. Moi je suis signé en exclusivité avec lui, il fait 80% de mes prods. Je pense que c’est important pour construire le squelette d’un projet. Il m’a présenté à Sofiane, je l’ai eu une fois en visio il m’a dit “alors mon petit loup ça va?” je lui ai répondu “ouais ca va impeccable, c’est quand que tu me fais faire du trampoline ?” Il a rigolé et m’a dit “toi tu parles pas chinois tu parles très bien français”. Deux semaines après il m’avait envoyé le titre.

On a pas encore eu la chance de se voir mais je sais que maintenant il peut me compter dans ses alliés, par rapport à ce qu’il a fait, tu sais un feat avec lui ça peut changer ma vie.

Fianso, je le vois comme un grossiste espagnol, il te donne 5 kilos il te dit “paye moi quand tu as envie mais le jour où j’ai besoin de toi, sois là”. Je serai là.

Pour finir, ça veut dire quoi guitariser ?

Se prendre 35 bastos de 7.62, je guitarise, tu guitarises, il guitarise. Une guitare c’est un AK47 à Marseille.

Interview et crédits photos: Le Triple 7

Check

Check est une marque francophone de production de contenus urbains. Fruit d’une collaboration inédite entre le label Back in the Dayz, la société de production digitale Digizik et le journaliste Martin Vachiery, Check est une plateforme web qui met en lumière tout ce qui fait la richesse et la diversité d’une nouvelle culture urbaine. Un média curieux, impertinent et libre. Check rassemble, en impliquant les meilleurs artistes dans tout le processus créatif.