Mais pourquoi vous faites des pogos en concert Rap ? – Check

Mais pourquoi vous faites des pogos en concert Rap ?

15 février 2018

Nicolas Capart

Que vous soyez mélomanes de terrain averti, consommateurs d’électricité musicale à l’envi ou autres volatiles habitués des nuits, vous avez dû, un soir ou l’autre, assister ou participer à cette pratique qu’on croirait ancestrale…

Les trentenaires et des poussières se rappelleront d’ailleurs l’œil brillant que cette joyeuse danse déglinguée était ingrédient de toutes les boums des années nonante, passage obligé de la soirée, histoire de dégoupiller l’ambiance une heure avant les slows, et occasion rêvée pour les pousseurs de disques peu inspirés de dégainer « Bombtrack«  (de Rage Against the Machine) et un bon vieux « Smells Like Teen Spirit«  des familles (de Nirvana). Nostalgiques, certains se souviendront peut-être aussi de la marque des incisives d’un camarade incrustée sur le coude. Celui-là même que vous recroisiez un chouïa vaseux à la sortie du concert, l’arcade sourcilière éclatée et le sourire niais… Commotionné mais satisfait.

Après une légère perte de vitesse aux alentours du bogue de l’an 2000, sans doute concomitante à la baisse de forme du Rock et des guitares, cette sympathique tradition refit surface sur la planète Hip Hop. Et, depuis quelques années déjà, on sautille et l’on se bouscule au pied des scènes Rap des quatre coins du globe, dans l’enthousiasme, l’allégresse et la joie.

“J’ai brûlé mes verrues/ Mais jamais j’brûlerai mes vieux albums des Bérus/ Fils j’en suis trop féru/ Plus que d’Jean Ferrat/ Je préfère le rock ferreux de Pantera” Nikus Pokus

“Après un pogo/Je suis l’vilain sauvage pas beau/ Pire qu’un lobo/V’là mon logo” Monsieur Xavier

Vidéo : Svinkels – « Réveille le Punk » (1999)




Père Vicious, raconte-nous une histoire…

Le pogo, puisque c’est bien de cela dont il est question ici, a, d’après la légende, vu le jour sur les terres britanniques, l’année 1976. Ou plutôt sur le sol glissant de houblon d’un troquet enfumé des bas-fonds de la City, lors d’un concert des mythiques Sex Pistols. Il est donc un rejeton du punk, et aurait été inventé par le non-moins légendaire Sid Vicious.

Pas encore membre de la bande, le futur remplaçant de Glen Matlock à la basse des Pistols, sévit alors dans le public, s’ébrouant comme un Flambi démoulé sur un lave-linge en mode essorage. Cette drôle de danse façon pantin désarticulé, dont Sid use et abuse pour moquer les « wannabee punk » qui secouent leurs tignasses à ses côtés, héritera du nom de « pogo ». Un clin d’œil au « Pogo stick » – ou bâton sauteur en français dans le texte – , sorte d’échasse sur ressort dont l’utilisation torse raide, bras rigides et jambes rapprochées rappelle la chorégraphie improvisée par le père du punk anglais.

Vidéo : Revivez l’expérience du bâton-sauteur




Pour l’anecdote, Shane MacGowan, chanteur des Pogues, attribue l’émergence de cette danse à un obscur poncho en cuir que Sid Vicious avait la mauvaise habitude de porter lors des concerts, et qui le saucissonnait allègrement d’après lui, le contraignant à dépenser son trop plein d’énergie en sautant de bas en haut. Viv Albertine, guitariste des Slits, écrivit quant à elle que le pogo découle de la manière singulière de jouer du saxophone de Vicious. Mais tous semblent d’accord pour lui en attribuer la paternité.

Varions les plaisirs !

Ils sont loin les rockeurs héroïnomanes édentés, et le pogo est désormais l’apanage de rappeurs aux chicots or platine ou contre-plaquées. L’intérêt de l’activité reste inchangé. Le pogo sert à retrouver un bref instant son âme d’enfant et à se payer une bonne tranche de LOL avec les copains, tout en tentant de sortir fier et plus ou moins indemne de la mêlée. Mais ses acceptions et déclinaisons se sont multipliées depuis son arrivée au menu des lives Hip Hop.

Il y a le slam, ou body surfing, qui consiste à se faire porter par la foule, couché sur et hissé par les mains du public. Une pratique qui pose parfois des soucis d’ordre légaux, comme a pu s’en apercevoir le sieur Roméo Elvis, victime d’un pick-pocket lors des Ardentes l’été dernier.

Vidéo : Il fait les poches de Roméo Elvis et se prend une claque (juillet 2017)




Le slam est généralement précédé d’un stage diving, ou plongeon depuis la scène pour ceux qui ne pratiqueraient pas le verbe de Shakespeare. Là où notre Roméo ne saute jamais sans son fidèle croco, son confrère ricain Lil Uzi Vert pratique le même sport sans filet (et sans réfléchir).

Vidéo : Le saut de dingo de Lil Uzi Vert au Rolling Loud Festival de Miami (mai 2017)




Enfin, pour le plaisir et parce que c’est toujours drôle quand les autres se font mal, rappelons nous ce bond élégant de l’ami chanteur r’n’b Miguel, qui décapite simultanément deux fans de la gent féminine lors d’un show télé, sans perdre une miette de sourire.

Vidéo : Miguel Epic Fail (@Billboard Music Awards 2013)




Citons aussi le wall of death – mur de la mort comme l’auront traduit les plus vifs, également appelé braveheart ou war – , qui consiste à séparer le public de la fosse en deux avant de voir les rives ainsi dessinées entrer en collision dans un climat de violence ludique et bon enfant. Une habitude récurrente de Foreign Beggars, crew Hip Hop londonien (tiens, tiens?), dont les habitués du Dour Festival se souviennent très bien.

Vidéo : DJ Snake @Festival Les Vieilles Charrues (juillet 2017)




Enfin, il y a le circle pit, où toute la foule tournoie dans le même sens de plus en plus vite, dont les premières manifestations datent de la fin des années 1980. Démonstration avec le français Lorenzo, toujours du côté de la Plaine de la Machine à Feu.

Vidéo : Quand Lorenzo fait tourner la tête du Dour Festival (juillet 2017)




Le pe-ra qui te casse les doigts

Le pogo est donc l’une des derniers bastions gagnés par l’armée triomphante du hip hop. Un nouveau jouet de taille dans sa collection. Evidemment, les b-boys sont joueurs. Joueurs et parfois second degré, à l’instar du quatuor parisien High Five Crew, qui publiait en novembre le mini-album « Joli Rouge », bardé du titre épique « Pogo Stick » dont on vous offre ce court mais intense extrait : “Une clope ou cigarette de joie dans la fosse c’est un pogo stick / C’est l’heure du pogo sku sku / Pogo Pogo, Pogo Stick” Plaît-il ?

Vidéo : High Five Crew – « Pogo Stick » (2017)

https://youtube.com/watch?v=wjjPNNNrjjU%26lt
Finalement, outre les bousculades institutionnalisées, le rap a-t-il d’autres atours punk ? Si les premiers frottements d’atomes rap et rock à avoir marqué l’histoire des musiques populaires sont à attribuer à Run DMC et Aerosmith sur « Walk This Way« , ou encore aux travaux conjoints de Bodycount et du rappeur Ice-T, les flammes punk originelles qui couvaient du côté pe-ra de la force furent boutées par les Beastie Boys, avec la sortie du brûlot « Licensed to Ill » en 1986 (disque qu’il convient de réécouter à intervalles réguliers, devoir de mémoire).

D’autres formations mutantes comme Biohazard ou Suicidal Tendencies, voire – dans une moindre mesure et bien plus tard – des groupes comme Limp Bizkit ou Bloodhound Gang ont sans doute contribué à fragiliser les parois de genres musicaux de moins en moins hermétiques au fil des années.

Vidéo : Beastie Boys – « No Sleep Till Brooklyn » (1986)




Aujourd’hui, le rap n’est pas le nouveau punk mais plutôt la nouvelle pop. Celle des jeunes, de la bande FM, des pubs, de la télévision… Il n’est plus vraiment une musique de revendication, pas souvent non plus une histoire de fond. Pas nihiliste mais froid, pas révolutionnaire mais cynique.

Les groupes brouilleurs de pistes précités ont néanmoins permis la naissance de nouveaux sous-courants au sein de la sphère hip hop. On parlait il y a quelques années d’une scène horrorcore, à laquelle d’aucuns ralliaient des artistes aux envies sombres et éclectiques comme les Geto Boys, Gravediggaz ou les affreux Insane Clown Posse, qui avaient la fâcheuse habitude d’asperger leur public d’un tas de saloperies collantes et dégoûtantes lors de leurs prestations.

Vidéo : Ho99o9 live à Austin @Boiler Room (2017)




Outre ce folklore – qui tient davantage de l’esthétique que de l’idéologique – , certains emcees aux cœurs électriques traduisent aujourd’hui en rap leur fascination passée pour le rock. Ceux-là se nomment Ho99o9 (duo de skateurs satanistes du New Jersey composé du styliste TheOGM et du graphiste Eaddy), Mike Kuhn alias NAH (one-man-band de Philadelphie qui fait dans les batteries dézinguées et les amygdales éclatées) ou plus récemment la paire $uicideBoy$ (alias $lick et Ruby Da Cherry), qui retournait comme une crêpe le Vooruit gantois il y a une semaine.

Pour être complet, côté francophone, citons également tous les Gremlins qui gravitent autour de DJ Weedim (Biffty et son frère Julius – fils d’un des fondateurs du groupe légendaire Ludwig Von 88 – ou encore le jeune Sirap). En Belgique, un exemple notable s’impose : STR, qui a la particularité d’être un ancien vrai punk.

Mais s’il est une formation pour les inspirer et les diriger toutes, ce serait sans hésiter Death Grips, diabolique trio de Sacramento (composé de Stefan Burnett aka Ride au micro, d’Andy Morin et du sorcier Zach Hill aux baguettes), dont la mixtape « Exmilitary » sortie en 2011 fait office de manifeste à cette bulle Punk-Rap qui n’a pas fini d’éclater dans le grand bain Hip Hop.

Vidéo : Death Grips – « No Love »