Nelick prend de la hauteur – Check

Nelick prend de la hauteur

14 janvier 2019

Etienne Antelme

Originaire du Val-de-Marne, territoire qui a vu éclore nombre de talents du rap français, Nelick affine doucement son art. Après un premier  projet livré début 2018, il vient de rempiler avec un second, nommé « Dieu sauve Kiwibunny ». A l’instar d’un nombre croissant de rappeurs, il ne se gêne pas pour dealer des rimes pleines de sentiments. Ne souhaitant visiblement pas badiner avec l’amour, il en a fait le thème principal de ses chansons. Passant avec aisance du chant au rap sur des productions aux influences musicales variées, la formule se précise, et Dieu sauve Kiwibunny fait mieux que confirmer, il mérite clairement qu’on s’y arrête. Si la qualité musicale fait recette, 2019 devrait voir le kiwibunny prendre de l’ampleur.

Rendez-vous est donné du côté de la Porte de Clignancourt, au milieu d’une journée promo. Après quelques relances, le jeune Campinois brise un peu sa timidité de jeune artiste. Un échange fleuve s’initie alors. De quoi évoquer la go de la kiwibunnytape, son rapport à une renommée naissante, ainsi qu’un featuring involontaire mais bienveillant. Sans parler de l’épineux problème de la relation client et de la vente au détail ou en demi-gros.

Check : Quels sont tes objectifs avec ce nouveau projet ?

Nelick : L’objectif c’est déjà de proposer quelque chose de plus sérieux, de moins enfantin. Le projet d’avant était un peu amateur, et à part le fait d’être en studio, je n’avais pas vraiment de réel lien avec le côté professionnel de la musique. Là c’est plus mature et réfléchi entre guillemets, ce nouveau projet je l’ai vraiment conçu comme un album, avec un début et une fin, une thématique et des sons pour y répondre.

Il y a une voix qu’on entend dans l’intro et qu’on retrouve plus loin, comme un fil rouge à l’album. On ne comprend pas forcément tout dès la première écoute, d’ailleurs, c’est voulu ?

C’est le but, exactement. Contrairement au projet d’avant (la Kiwibunny tape), là il y a vraiment plusieurs écoutes à avoir. Les gens qui m’ont dit « j’ai kiffé le projet« , une heure après que ce soit sorti, ça ne m’a pas fait plaisir en fait, pour moi on ne peut pas le comprendre en l’écoutant une fois.

Toi-même, tu dirais que ton oreille a évolué, du fait d’être plus rentré dans la musique professionnelle ?

C’est ça, j’ai commencé en faisant des maquettes, et après je les ai approfondies. Durant les dix derniers mois, il y a cinq mois où j’étais en cours, et cinq mois où je me suis consacré entièrement à la musique. Et du coup ça m’a permis d’aller beaucoup plus vite. Sur celui-ci j’ai enregistré des sons, et je suis revenu dessus deux mois après, en changeant des trucs, la prod’, en invitant des gens.

« Il me dit : « t’as 5 minutes? », et j’avais 5 minutes »

Dans une interview, tu disais que c’était la première fois que tu travaillais avec une équipe. Comment ça s’est passé ?

On ne se connaît pas depuis hyper longtemps, ça doit faire un an et demi. J’ai atterri dans un studio à Montreuil qui s’appelle La Maison, avec toute une équipe autour: d’autres rappeurs, des ingénieurs du son, des beatmakers. J’ai fait mixer mon projet là-bas par Jagger Jazz (ndlr :déjà présent sur le projet précédent, il a fait 5 sons sur celui-ci). Les sons je les écris chez moi, la plupart je les enregistre au studio Coppélia. Après, je travaille toutes les prods avec Jagger ou avec d’autres producteurs. Et on fait tout le sound design, le fil rouge de la voix par exemple, on l’a monté là-bas. Enfin à la base, c’est moi qui l’ai enregistré dans la rue. J’attendais mon train, et j’étais en train d’enregistrer des toplines, des mélodies, en écoutant des prod’. J’étais comme ça : « yeah yeah yeah » (il chantonne).

C’est comme ça que te vient l’inspiration ?

Oui, je mets mon lecteur en aléatoire des fois, et je tombe sur des prods sur lesquelles je n’ai pas forcément tilté à la première écoute. Ou j’écoute des prods qu’on vient de m’envoyer, et j’essaye de trouver des mélodies.

Et du coup, c’est là que t’as enregistré ce mec ?

Ouais il est venu me parler, il me dit : « t’as 5 minutes?« , et j’avais 5 minutes. Et c’est là d’où est un peu venu « Dieu sauve Kiwibunny » en fait. On aurait dit qu’il savait que j’étais inquiet, qu’un truc allait arriver. Un peu comme un genre de voyant, mais pas du tout dans la religion ou quoi, vraiment juste la spiritualité. La note vocale que j’ai eue elle durait quinze minutes, et on a sélectionné même pas trente secondes. Et pendant quinze minutes il m’a raconté plein de choses ultra intéressantes, ça m’a un peu ouvert les yeux, et ça a grave été enrichissant. Je voulais lui rendre hommage.

C’était un dialogue, ou c’était un peu un sermon comme de ceux qui veulent convertir des gens ?

C’était sans vouloir me convertir, je lui posais des questions, et c’était grave cool en fait. Bien sûr, j’ai eu des gens dans ma vie qui sont venus me dire : « oui, faudrait que tu te convertisses« , et moi j’étais à chaque fois en mode « vas-y, ça sert à rien« . Et lui il est venu en mode « je suis pas là pour quoi que ce soit, juste si tu veux on parle, mon rôle sur terre c’est de dire des choses à des gens« . Et c’était archi intéressant. Je ne lui ai pas dit que je faisais de la musique, mais j’ai évoqué mes craintes. Je lui disais « comment tu expliques ça?« , et il arrivait à m’expliquer des trucs, son avis à lui.

Et il ne savait pas que tu l’enregistrais ?

Non il ne savait pas. En fait j’avais laissé tourner le truc (le dictaphone). Et à un moment je me suis rendu compte que j’étais en train d’enregistrer, et je trouvais ça intéressant. J’ai pas eu le temps d’arrêter le truc quand il est venu me parler.

Donc tu risques un procès s’il te retrouve le mec ! (rire)

De ouf. Non parce qu’en vrai je pense que son but c’est que le maximum de gens l’entende.

C’est drôle, ça pourrait faire un magnifique débat dans un tribunal.

Non mais même lui je pense qu’il ne se reconnaîtrait pas, on a modifié sa voix, et cetera.

Il y a le thème de la célébrité qui revient dans plusieurs de tes sons. T’en parlais déjà dans le projet précédent, dans « Rooftop » tu disais, « on veut que je devienne une star« , et là dans « Cascade« , pareil, « on veut que je sois connu« . Pourquoi « on » à chaque fois ? Tu ne veux pas assumer tout seul le fait de vouloir être connu ?

C’est ça, je pense. Mais en vrai je ne sais pas si j’ai tant que ça envie d’être connu, je suis indécis par rapport à ça. Je ne sais pas si vraiment je veux l’être, si je ne veux pas l’être du tout, si je veux l’être à mort.

Mais tu commences à l’être.

Non mais c’est sûr, et plus je deviens connu plus je suis content. Après, plus je deviens connu plus j’ai des problèmes, plus j’ai des trucs bien qui m’arrivent. Quand t’es pas connu, t’as peu de trucs bien, mais peu de trucs moins bien. Pour moi c’est pas du tout pareil que l’argent. L’argent plus t’en as mieux c’est en gros, plus t’es à l’aise. Tu ne peux pas avoir plus de problèmes avec plus d’argent, ou je sais pas, ceux qui disent ça, peut-être ils parlent trop. Alors que dans le succès, il y a autant de bien que de mal.

Ça te donne du taf en plus ?

Ouais c’est ça, ça donne plus de responsabilités, et à la fois ça donne encore moins envie de perdre ça, parce que perdre sa notoriété c’est relou de ouf.

« On », parce que t’as l’impression d’être embarqué dans un truc qui te dépasse un peu ?

Oui c’est ça, je n’aime vraiment pas perdre le contrôle sur moi-même. Et ça c’est un peu une perte de contrôle. Les gens ils te voient pas comme un humain, ils te voient comme une star qui n’a pas de sentiments, donc c’est bizarre. Il y a des gens qui peuvent t’envoyer des messages grave blessants, et je me dis que plus ça avancera… Plus je vois des artistes encore plus connus qui reçoivent des trucs de ouf… J’entends parler parfois des gens parler des artistes en mode « ouais, lui c’est un fils de pute », alors qu’ils connaissent pas le quart de sa vie au mec.

C’est une partie du public qui vit dans l’illusion de connaître les artistes par cœur. Ça me fait penser à quelque chose qu’Orelsan évoque dans plusieurs morceaux, comme quand il rappe « t’aimais mieux quand j’étais moins connu, sauf que tu me connaissais pas non plus » (dans « Quand est-ce que ça s’arrête ? »)

C’est ça, Orelsan il parle archi bien de la notoriété. Je l’ai déjà rencontré plusieurs fois, et en fait, c’est gênant à quel point il est humble. Voir un mec faire quatre Bercy dans l’année, être là à dire « écoutez les sons de mes gars, c’est trop lourd« , être grave cool avec nous. En même temps c’est rien, mais je pense que c’est un truc qui se perd de ouf, et ça fait trop plaisir de voir des gens comme ça. Et ça ne m’étonne pas qu’il réussisse et qu’il soit là où il en est.

A un moment tu rappes (dans « Pas mal ») « ils baisent avec des fans parce qu’ils ne sont pas beaux ». Pour toi avoir une relation avec une fille qui ferait partie de ton public, c’est impensable ?

 De base c’est un truc normal, mes potes pour eux c’est le premier truc « tu vas ken des gos« , genre c’est juste ça. Alors qu’en vrai, les fans elles sont tellement en sang sur toi, que ça ne sert à rien de coucher avec elles.

Tu as moins envie, parce qu’il n’y a pas de défi ?

C’est ça. Et tu ne peux pas tomber amoureux d’une personne qui t’aime trop comme ça. Moi je ne cherche pas à ken des meufs, je m’en fous vraiment. Mon but c’est vraiment les histoires d’amour. Le sexe c’est cool, mais sans rien derrière ça ne sert à rien. Et ces meufs là c’est clairement ça. Elles fantasment sur toi mais tu ne fantasmes pas sur elle. Moi je préfère coucher avec des filles sur qui je fantasme, plutôt qu’avec des filles qui fantasment sur moi. Les artistes qui font ça, c’est la facilité mon gars. C’est comme les mecs archi stoc qui tapent des mecs tout petits et secs comme moi. C’est trop facile gros, t’es relou. C’est la même chose.

C’est ta copine qui chante sur « la go de la kiwibunnytape » ?

Yes. Parce que je parle beaucoup d’elle sur la « kiwibunnytape ».

Elle est artiste aussi, du coup ?

Pas du tout.

Parce qu’elle chante bien quand même !

Elle chante très très bien. (rire)

Tu lui dis qu’elle a du potentiel, non ?

Ah mais carrément.

Tu essaies de la pousser à devenir artiste, comment ça se passe ?

En vrai elle s’en fout un peu, elle ne veut vraiment pas devenir connue ou quoi. Elle kiffe la musique, elle aime bien chanter et cetera, mais elle n’écrit pas. Elle interprète souvent, et en gros elle ce qu’elle aimerait faire, c’est chanter dans des cafés de jazz, c’est pas du tout de devenir connue. C’est pour ça que je n’ai pas dit son nom, elle s’en fout vraiment de la notoriété. On a fait un autre son ensemble, qui va sûrement sortir plus tard. Elle veut juste faire des sons avec moi, que ça fasse un million de vues ou aucune, elle s’en fout.

Le fait de l’appeler « la go de la kiwibunnytape« , c’est une idée d’elle ou de toi ?

C’est une idée de moi.

Au début, elle t’a pas dit « hé mais c’est quoi ce délire, genre je suis soumise à toi » ?

Oui j’avoue. Mais non, parce qu’elle sait que c’est mon délire et que c’est lié à la façon dont je communique avec mes fans. Et puis dans le son, je dis des trucs qu’elle n’aime pas forcément entendre, je dis « toujours aussi bonne, toujours aussi conne« . Et je pense qu’elle a été grave mature, c’est juste pour aller plus loin dans la musique. Pour moi faire un son comme ça, ça s’est jamais fait. Moi c’est un son où je dis que je quitte ma go, où j’invite ma go dessus. Parce qu’en fait on s’est quitté et on s’est remis ensemble.

Ok c’est vraiment un personnage, et ça colle aussi avec son rapport avec la musique, si elle n’est pas en train d’essayer de percer en même temps.

De ouf. C’est pour ça, c’est trop lourd, moi je kiffe, je trouve ça cool.

T’as payé ton abonnement pour écouter mes sons, c’est toi mon iencli ».

Dans « Speed », tu rappes « je suis pas un iencli, t’es pas un grossiste« . Est-ce que tu t’es dit qu’il était temps d’enterrer la hache de guerre entre ces deux camps un peu artificiels dans le rap français? Les iencli et les bicraveurs ? (rires)

De ouf. Je trouve ça stupide, parce que moi je connais vlà les bicraveurs, je connais vlà les iencli. Et pour moi ça ne veut rien dire.

Et est-ce qu’on ne peut pas être les deux à la fois, en fait ?

Bah si, exactement. Quand on me dit « t’es un iencli« , je fais « t’as écouté mon son mon gars, tu m’as rapporté du bif sur spotify. T’as payé ton abonnement pour écouter mes sons, c’est toi mon iencli« . Après en vrai, j’ai arrêté de fumer de la beuh et d’acheter des stups. A ce niveau-là je suis plus iencli du coup je me suis fait kiffer sur cette phase. Moi y a des sons que je rappe, mais je suis pas un rappeur iencli, c’est stupide de dire ça. Après y en a c’est des rappeurs boloss c’est tout, y a pas à mettre une case iencli. C’est des bouffons, voilà, fin. J’ai mis tellement de temps à créer ma propre case, que me l’enlever et me mettre dans un sac avec plein de gens, c’est horrible. Surtout que la plupart des gens qui disent ça, c’est archi pas des grossistes, archi pas des mecs qui vendent quoi que ce soit.

Depuis peu, on te voit graviter autour d’A2H, t’es présent sur son album « L’amour », on t’a vu dans la nocturne de Skyrock avec lui. Est-ce que tu peux me parler un peu de votre relation?

On s’est rencontré au studio « La Maison », avec Jagger Jazz et Sid. Il devait faire un morceau avec Sid, et il devait rencontrer Jagger pour faire des prods (deux prods sur l’album d’A2H). Je devais faire un son avec A2H, il m’a envoyé un son, mais j’ai pas du tout aimé. Et je suis revenu un jour où il était là, il était en train de faire le son avec Sid, « Confiance« . J’ai entendu ça, j’ai kiffé et je lui ai dit que j’étais trop chaud pour pull up sur ce son parce que je kiffais la vibe. Il m’a dit « vas-y », et on a fait ce son là. Je pense qu’on fera plein d’autres sons ensemble, parce que je kiffe grave son délire, il est trop musical et il fait des putain de prod’.

Après Tengo John, Nelick est le 2e rookie de 2019 sur qui on mise chez Check, on vous fait bientôt découvrir de nouveaux artistes, des Belges cette fois !