Non, Nusky n’est pas juste un énième rappeur blanc chelou – Check

Non, Nusky n’est pas juste un énième rappeur blanc chelou

5 octobre 2018

Léo Chaix

Tu te lèves pour les crasseuses / Je me lève pour les croissants”. Quand tu parles de Nusky autour de toi, c’est à peu près tout ce qu’on arrive à te sortir. Pourtant Nusky n’est pas qu’un mec trop perché qui a fait le buzz chez Konbini habillé en uniforme Nuit Debout avec des mimiques de gosse autiste. Jeune artiste de 23 ans issu du sud parisien, un peu fou, très productif, et biberonné à la pop culture, Nusky propose une musique où l’amour et la drogue sont des tâches de couleur vive dans un univers en noir et blanc.

Il faut savoir que Nusky n’a pas de téléphone portable. Il n’a donc aucun moyen de me dire, le mardi soir, après 1h30 d’attente sous les rayons d’un soleil parisien écrasant, qu’il a complètement zappé notre interview,. C’est sans rancoeur qu’on se voit le lendemain vers les galeries Lafayette (en plein coeur de la capitale française) autour d’une bière et d’un Perrier – notre super héros du jour ne buvant pas d’alcool. Une heure pour découvrir l’envers du décor, une heure pour découvrir ce qui se cache derrière ces cris et ces grimaces. Une heure pour comprendre que Nusky est bien plus qu’un énième rappeur blanc chelou.

Salut Nusky. J’aimerais qu’on parle du tout début, avec la Race Canine. Tout le monde ne sait pas que tu faisais partie de ce groupe. RK9, c’est juste une bande de potes à la base, non ?

Ouais, on est tous copains. Y’avait deux crews à la base, on n’était pas dans le rap au début, on faisait d’autres choses. Une partie venait de Montrouge et l’autre de Montreuil. On s’est rencontrés, on est devenus tous potes et au bout de six mois on s’est tous mis à rapper. Moi avec deux des gars on était potes depuis longtemps, sur Montrouge. Puis on a commencé à traîner à Montreuil où on a rencontré Rob-D puis Wazy. On avait un pote qui squattait là-bas et tout le monde s’est rencontré dans ce squat.




Et pourquoi est-ce que tu es le seul à avoir pété en solo alors ? Si vous avez tous commencé ensemble et bossé de la même manière.

Quand j’ai commencé, la question du solo ne se posait pas. On a fait un petit projet avec la RK9 qui n’a pas spécialement pris mais un peu quand même. Ça nous a boosté à l’époque mais pas plus que ça. Et moi je me suis retrouvé dans une situation où je n’avais pas le choix : il fallait que je vive de la musique. J’avais de l’argent à investir et il y a un moment où j’ai commencé à faire un son solo, mais sans aucun calcul, ça s’est fait naturellement. Et jamais il n’y a eu de malaise vis-à-vis du groupe que je me lance de mon côté. Puis j’ai rencontré Vaati, on a fait Lecce et j’ai enclenché. J’avais envie d’avancer, mes potes moins, mais sans aucune ambiguïté. Mais ces gars, c’est ma famille : on vit ensemble, je gratte avec eux, dans tous mes solos je leur prends des phrases (rires). Donc c’est mon nom sur la pochette mais en vrai on bosse ça ensemble.

Est-ce que tu sens également que tu avais également plus de potentiel qu’eux ? Plus de talent. Ou c’est simplement les circonstances qui t’ont permis d’avancer plus vite qu’eux ?

Je ne sais pas si c’est une question de circonstances… Mais moi j’y suis plus allé à fond je pense. J’ai moins hésité. J’avais aussi peut-être plus de facilité à chanter qu’eux aussi, mais je ne me suis jamais senti plus fort, ça c’est sûr.

Tu prends des cours de chant ?

Ouais, on a eu des cours gratuits avec Vaati l’année où on a commencé à faire parler de nous. J’ai dû en prendre dix et honnêtement l’apport que ça a eu sur la qualité de mes chants est impressionnant. C’est un truc de malade comme ça a tout changé, ça m’a fait évoluer très rapidement.

Pour moi avant c’était très abstrait avant. Je ne chantais qu’en anglais quand j’étais jeune, dans un groupe de rock, je faisais beaucoup de yaourt… J’ai vraiment dû passer par quelques années de rap pur pour me rendre compte qu’en fait c’était principalement le chant que j’aimais dans la musique, et m’y remettre, en français cette fois. Mais au cours de chant on te donne les clés pour appuyer ta personnalité déjà existante. Parce que quand tu apprends à chanter seul, tu prends de mauvaises habitudes rapidement. Avec ces cours j’ai acquis des astuces et techniques simples pour ne pas m’habituer à de mauvais gestes. Ça a été super bénéfique. Au début par exemple on me reprochait beaucoup de ne pas articuler, et ça me saoulait ! Et ces cours m’ont permis de comprendre en une heure comment ne plus donner cette impression quoi… J’ai upgraded super vite grâce à ça.

Y’a un côté très fêtard, turn’up et insouciant dans ta musique. Ça danse, ça bouge, ça privilégie le fond à la forme sur certains moments… Je me demandais si pour toi le rap c’était principalement un moyen de faire la fête et de rigoler.

Il y a de ça.  Pas que mais oui il y a de ça. La trap pour moi c’était ça déjà. Quand je me suis mis à crier et chanter sur des accords sombres, c’était l’expression principale de mon temps et de la fête. Je trouvais qu’il y avait de la vérité dans la violence de la trap, c’était la seule chose qui me mettait une vraie claque, qui te fait comprendre qu’on est en 2018, c’est la fin du monde en fait, seule la trap te le dit. C’était une violence poétique. Il y a tellement plus d’harmonie et d’accords dans une instru trap que sur une terne boucle de boom-bap ! Même si il peut y avoir une grosse émotion sur du rap à l’ancienne, je réécoutais Alpha 5.20 tout à l’heure encore c’est magnifique, mais c’est pas la même chose…

Mais bon pour revenir à ta question, c’est pas que pour faire la fête. Déjà, je déteste l’idée de donner des leçons, et encore moins dans ma musique, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai aucune conscience sociale ou quoi. Bien que je ne sois le daron de personne…

T’as pas envie d’avoir cette responsabilité non plus ?

Non. Je sais que c’est un discours de rappeur ça, de se dédouaner de toute responsabilité envers son auditoire. Je ne suis pas non plus là dedans, je me voile pas la face : je sais qu’on a une résonance auprès des jeunes. Mais ça n’empêche pas que je ne sois pas le daron de qui que ce soit et je n’incite rien à personne. Tout ce qui m’importe, c’est la vérité : j’aime les gens qui sont proches de la leur. Si j’ai bouffé un taz, j’aime le fait que rien ni personne ne puisse m’interdire de le dire, sans réfléchir à l’effet que ça aura potentiellement derrière.

Ni honte ni fierté, à la James B ?

Exactement. Je suis ni dans la starification de mes conneries, ni dans le déni. Je les assume telles qu’elles sont. Et je pense dire des choses tout de même de temps en temps aussi, qui sont plus intéressantes. Sur Super-héros quand je gratte « ça vend du crack devant les daronnes / Mais ouvre ta gueule t’auras une amende », c’est significatif.

Ce sont des choses que je vis, tout simplement, donc je peux en parler. Y’a zéro mensonges dans mes textes.

Dans ta musique, y a cette patte « joyeux trash », où on fait la fête, parce que ça va pas. On se défonce, on rigole, on fait des conneries parce que c’est la hess et qu’il faut penser à autre chose, une sorte de bonheur aseptisé agrémentés de beaucoup de regrets, sur des instrus dansantes. Toutes proportions gardées, il y a un côté xxxtentacion, où le mec te fait des instrus toutes bouncy en criant qu’il est triste et qu’il veut mourir.

Je vois ce que tu veux dire. J’adore ces contrastes-là, et dans ma musique j’essaye de les mettre en exergue. Mon moment préféré quand je prends de la drogue, c’est le lendemain matin, où je bade après avoir été super heureux. Parce que pour moi, c’est ça la vie, c’est la dualité. Faire une chanson triste, sur une prod triste, pour dire des choses tristes, ça m’emmerde. Je suis toujours dans ce truc là, de prendre à contrepied ce sur quoi on m’attend. Ma copine me le reproche de temps en temps (rires).  Parce qu’il ne faut pas non plus que je fasse ça par principe, sinon je deviens une caricature de moi-même et là ça perd son intérêt.




Et en même temps c’est un peu de la chanson française aussi ce que tu proposes ! Comme sur Les Regrets où tu chantes au début, tu rappes sur les couplets, tu reprends ton air sur la fin…

A fond. J’étais à la radio récemment, y’avait Michel Fugain. Et il parlait du fait qu’il n’y avait plus de chanson française aujourd’hui. Et Didier Varrod, l’animateur, lui demande pourquoi selon lui la chanson française avait disparu. Ce sur quoi Michel Fugain explique qu’on n’a perdu l’amour de la langue, des belles sonorités etc. Ca m’a insupporté ! La variété française, la chanson française, aujourd’hui c’est le rap. Point. Et si c’est pas le rap, c’est Maître Gims. C’est la même chose ! Si tu le reconnais pas, c’est que tes oreilles n’y sont pas encore habituées et que t’as pas encore pris le tournant, mais c’est le rap, et puis c’est tout.

Je vois ce que tu veux dire mais en vrai je les comprends. Je pense que ce qu’ils reprochent au rap c’est qu’il n’y ait plus d’air, de mélodie. Quand tu écoutes de la chanson française des années 70 à 90 à peu près, tu vois qu’il y a de vraies mélodies que tu peux chanter, un air. Alors que le principe même du rap c’est de ne pas chanter, c’est plus de scander. Aujourd’hui, ça change énormément puisque le rap se met à chanter ! C’est d’ailleurs là où Gims n’est plus du tout un rappeur.

Oui c’est vrai je suis d’accord. D’ailleurs en parlant de Gims, il sait tout faire, il n’a plus rien à prouver à personne, c’est un des meilleurs de Paris. Et il sait encore rapper hein ! Tu vois son couplet sur Loup-Garou, je ne m’en suis pas remis en vrai.

Grave ! Et c’est triste tu vois, sur son SpeakEasy avec Mehdi, il explique qu’il a fait ça pour prouver aux gens qu’il sait rapper. C’est quand même dommage d’en arriver encore là après la carrière qu’on lui connaît et après avoir tout tué en rap français.

A fond, à fond… C’est une grande inspiration pour moi. Je ne serai jamais aussi populaire que lui. Je le sais. J’aurai jamais ce truc aussi lisse que lui, aussi passe-partout. Je ne le blâme pas du tout pour ça, mais ce ne sera jamais mon créneau, donc je ne pourrai jamais toucher autant de monde. En revanche, depuis que j’ai commencé la musique, mon but c’est de faire de la pop, vraiment, mais avec de vraies paroles. C’est la touche française un peu. Tu vois, j’adore la K-Pop aussi, gros gros fan. Mais ce qui leur manque c’est les paroles ! J’aimerai trouver cet équilibre parfait là, faire de la pop grand public avec des lyrics personnelles et intéressantes.

Est-ce que c’est possible de faire danser tout en disant quelque chose ?

Ecoute, moi j’y crois. C’est mon but en tout cas, je ne m’arrêterai pas tant que j’aurai pas touché à ça.

Mais alors tu parles de pop, de chanson française… Et le rap dans tout ça ? C’est quoi tes influences en termes de rap ?

Si je ne peux en citer qu’un c’est Young Thug. C’est lui qui m’a ouvert les yeux.

Mais t’écoutais du rap avant qu’il arrive, non ?

Ben ouais mais… pas vraiment. Je ne vais pas te mentir. J’ai dû acheter La Fierté des Nôtres et Gravé dans la roche quand j’étais minot, mais je me suis arrêté là. Parce qu’après j’ai découvert le rock, et pour moi c’était ça la vie. J’ai tout écouté de ce genre-là, tout. Après comme j’étais un peu dans le graff à cette époque, et que tous les mecs qui graffaient écoutaient du rap, ben j’écoutais un peu de rap à travers ça. Y’avait notamment une phrase de Nakk qui m’avait beaucoup parlé à l’époque, quand il dit « La main tremblante comme un ex-taggueur face à un métro blanc ». Ça, ça me touchait.

Mais tu sais c’est bizarre : je me suis mis à écouter du rap parce que j’en faisais (rires). A ce moment, tout le monde écoutait 1995 et compagnie. Moi, ça me parlait pas du tout. Donc à part Nakk, pas de grosse claque à ce moment. Puis quand la vague de Chicago a débarqué, Chief Keef et ses potes, ça m’a fait aimer la trap et là j’ai enfin trouvé ce qui me parlait réellement. Puis Young Thug est arrivé, et c’était fini. Ce mec m’a fait découvrir Lil Wayne, il m’a fait comprendre la trap, et m’a permis de prendre énormément de recul vis-à-vis du rap plus « à l’ancienne », et de l’apprécier à sa juste valeur. Ce n’est qu’en comprenant la trap que j’ai compris le reste.

D’un point de vue purement musical, je voulais te dire que j’étais un peu triste (rires). En fait, avec Vaati, vous aviez une alchimie totale, et surtout vous étiez sur un rapport de force à égalité. Comme vous avez commencé ensemble et que vous créiez ensemble, l’un apportait autant à l’autre. Je me demandais donc comment ça fonctionnait avec Double X, qui sont de très gros poissons, et avec lesquels j’imagine que tu as beaucoup moins de marge de manœuvre créative étant donné que tu es plus « petit » qu’eux d’une certaine manière.

Ouais je vois bien ce que tu veux dire. En fait, comment ça s’est passé. Ils sont venus vers moi parce qu’ils aimaient beaucoup ce que je faisais, et on a décidé de faire un projet ensemble, au fil de nos rencontres. Ils ont eu confiance en moi, ils m’ont fait plein de prods et m’ont aidé, c’est des fréros maintenant, je les remercie énormément. C’est-à-dire que, malgré le fait que ce soit d’énomes hitmakers, ils ont tout de même pris du temps pour me faire évoluer et m’aider.  Donc oui d’une certaine manière ils m’ont emmené sur leur terrain parce que c’est eux qui sont venus me chercher et ont voulu me faire exploser. Mais en même temps, ils sont super ouverts, donc discuter musique avec eux c’est un régal, et on se nourrit mutuellement de nos influences. Ce sont de vrais musiciens, et ça fait du bien de bosser avec des personnes comme ça.




Tu parles beaucoup de drogue dans ta musique. Mais jamais dans l’esthétique générale du rap, jamais en bicraveur, ni en la glorifiant de quelconque manière. Tu en parle de façon très simple, en tant que consommateur régulier. Pour toi c’est purement récréatif ou c’est également créatif ?

(il réfléchit) La drogue ça te met dans des postures de réflexion interne ou tu penses beaucoup, ça te rapproche énormément de tes émotions. La première fois que j’ai bouffé de la D, ma perception du monde a complètement changé, et donc ça m’a forcément influencé. Et je fume des joints tous les jours, mais je n’ai jamais revendiqué une nécessité de fumer pour libérer de l’inspiration, pour dormir plus facilement, pour gratter ou quoi… C’est faux. J’ai besoin de mon joint tout le temps parce que je suis accro au shit et que j’en fume toute la journée. Donc oui aujourd’hui quand je vais écrire un son je vais me rouler mon joint, mais autant que lorsque je vais cuisiner ou mater un film. Ce n’est qu’une histoire d’habitude. De mauvaises habitudes.

Tu te vois où dans 10 ans ?

A la maison, avec les copains, avec ma copine, des vêtements chers, des meubles très chers. On est tous ensemble, tout va bien, on a de l’oseille et tout le monde fait de l’art. Dans le son, dans la peinture, dans ce qu’on aime faire. Nous on bicrave pas, on n’a pas le bac, tout ce qu’on aime c’est créer, et faire de l’art. Et on va y arriver.

Il ne nous reste plus qu’à lui souhaiter bonne chance pour arriver à construire son paradis, entouré de ses amis et de sa famille. Là où les oiseaux volent avec les anges.

Léo Chaix

(Crédits photos : Louise Guthauser)

Léo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Roy Mustang, Clifford Simak et Supertramp, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge", danser sur du Kim Wilde en 81 et monter dans le Yamanote Line avec Zuukou Mayzie. Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.