On a croisé Senamo dans une pharmacie – Check

On a croisé Senamo dans une pharmacie

1 juin 2018

Thomas Haulotte

En allant faire nos emplettes dans la pharmacie du coin à Saint-Josse, on a eu la chance de rencontrer Senamo. L’occasion de discuter de son nouveau projet, ses vieux démons, manga et jeux vidéos pendant un bout de l’après-midi.

« Franchement, la trilogie des fourmis c’est la folie. Les thanatonautes aussi c’est incroyable. Puis l’arbre des possibles, l’encyclopédie du savoir relatif et absolu, ça m’a choqué…”

Une remise en contexte est nécessaire: à la base on partait sur une interview classique, mais ça a vite dérapé… Cet article sera donc consacré à: Bernard Werber, Yoshishiro Tokashi, le symbolisme catholique, l’impact de XXXtentacion sur les tendances et enfin: pour ou contre regarder One Piece en scan ?

Plus sérieusement, on a aussi pris le temps de discuter de son projet Poison Bleu, sorti le 23 mai dernier. Un projet que Senamo a mis un an et demi à faire. Après être parti dans tous les sens, il a tout jeté il y a un mois et demi pour se recentrer sur ce qu’il aimait, sans calculer. L’album vient droit du cœur et ça se sent. Personnel, brut et même souvent écorché, on est loin du boombap de l’époque Quartier Sud. Et c’est tant mieux, n’en déplaise aux nazi-puristes du rap jeu qui ont souvent été à ses trousses…

« Ca me prend de ouf, j’allais parfois leur parler en DM pour essayer de comprendre le fond de leur pensée. Les gens ne se rendent pas compte qu’entre deux sons, il y a des mois, parfois des années. S’ils traînaient avec moi, ils verraient que c’est normal, naturel. Parce que ma musique, c’est moi à un certain stade de ma vie. Et puis en tant qu’artiste, on a ce rôle d’éducation, ce devoir de faire évoluer la musique. Si tu n’aimes pas je comprend, mais tends au moins l’oreille ! Maintenant les gens commencent à capter la subtilité que j’essaye d’amener, ça fait plaisir.”




Un album très musical donc, aux influences modernes et bien barrées. SlumGod, Famous Dex, Ski Mask, pour n’en citer que quelques-uns. La trap, un nouveau terrain de jeu pour Senamo. Malgré tout, son passif de rappeur se ressent, les textes prennent le dessus et il en est fier. “Je cherche la musicalité mais j’aime trop jouer avec les mots et la langue française, j’adore lire aussi (<– On est parti en débat littéraire à ce moment précis) (…) Bref, c’est un juste milieu à trouver.”

L’album comme exutoire

Malgré tout, quand on part interviewer un gars qui passe ses refrains à chanter « je suis saoulé de ma vie, sur ma vie j’suis saoulé” ou « Chacun sa croix, je finirai seul dans les ténèbres”, on n’est pas totalement serein sur l’ambiance dans laquelle ça va se passer. Ma première question fut naturellement: est-ce que tu vas bien ?

Senamo: « Rassure toi, ça va bien. C’est plus un délire, tout l’album est métaphorique, jusqu’au titre. C’est vrai que cet album a été un exutoire pour moi, dans une période où j’étais matrixé par ce poison bleu. Le fait de le sortir c’est comme si je tournais la page, je passe à une autre étape. Même si j’apprécie toujours le côté récréatif, je le fais avec modération parce que j’ai vu ce que ça provoque, c’est une drogue qui te renferme. Heureusement que j’avais encore une petite voix qui me raisonnait et puis ça m’a aidé d’en parler autant. Je sais que ça peut être redondant pour les gens mais j’étais obsédé par ça et j’aime aussi le fait de parler de quelque chose en le déclinant de mille manières. C’est un exercice que je faisais déjà à l’époque avec le joint.”

Rassuré, donc. Ce qui m’a particulièrement touché dans ce projet, c’est le rapport qu’à Senamo avec la solitude. Intéressant car paradoxal: on sent qu’il a du mal à la supporter et pourtant, il en a besoin.

Senamo: « En tant que fils unique, tit-pe j’ai beaucoup gambergé, j’étais souvent solo. Alors on a créé des bandes avec mes potes avec un état d’esprit familial auquel je tenais beaucoup. Malgré tout, au-delà de la drogue que je prend pour faire taire mon esprit, j’aime bien être seul et passer du temps à réfléchir. C’est le paradoxe un peu déjanté que j’ai. J’essaye de viser le juste milieu mais la vie m’attire toujours d’un extrême à l’autre.”

Rap geek

Senamo est avant tout un vrai geek, il n’hésite pas à envoyer pleins de références dans ses morceaux. On sait que vous en rêviez alors Check l’a fait : pour la toute première fois, Senamo nous révèle ses geekeries favorites !

  • Jeu vidéo?

« Récemment j’ai passé pas mal de soirées sur God of War. Mon classique reste Tekken, je peux me vanter d’être super chaud. Sinon je me suis pris Fortnite comme tout le monde, et un FIFA fait toujours plaisir. Mais je suis même là sur l’iPhone hein ! Clash Royale, tout ça. »

  • Manga ?

« Yuyu Hakucho, une tuerie. C’est fait par l’auteur d’Hunter X Hunter mais bien avant, à l’époque de DBZ (ndlr: Dragon Ball Z). L’auteur est complètement tilté d’ailleurs il a baclé la fin mais c’est lui qui a instauré les tournois où les personnages évoluent etc. Y’a des gros combats et un charme spécial. »

  • Films ?

« Y’en a pleins mais au niveau de la réal, Wes Anderson est incroyable. La symétrie c’est un truc qui m’a toujours fait vriller et lui maîtrise ça à la perfection. »

  • Livres ?

« Bernard Werber m’a complètement ouvert l’esprit (suite voir intro). J’adore la science-fiction aussi et les Harry Potter. J’ai aussi lu pas mal de bouquins sur l’anarchisme par curiosité. »

  • Musique ?

« Je peux t’en sortir pleins, mais principalement des trucs un peu déjantés style Lil Mosey. J’ai récemment découvert une pépite qui s’appelle Johnny Yukon. Son clip Snooze est incroyable. A Bruxelles, mes gars Yanso et Neshga. Quand j’étais plus jeune mon père écoutait beaucoup de punk/rock, style Nirvana, Sex Pistols. Le plus important c’est qu’il y ait une mélodie, quand c’est trop hardcore j’adhère moins. »

  • Clips ?

« J’adore les clips que BRTHR a fait pour Travis Scott, Goosebumps par exemple. Le clip de Keith Ape pour Converse aussi, Diamonds. C’est de l’art, tu peux enlever le son et kiffer presque autant. Dans le même style, Viceland de Kekra est pas mal. Sinon le dernier clip d’A$AP Rocky, mais bon ça faut même pas regarder sinon t’es découragé. Il est trop loin. Je kiffe les trucs qui m’étonnent en fait, c’est pour ça qu’on a des atomes crochus twohvnds et moi. Il est trop vif ! »

La Smala et l’état du rap belge

La Smala a marqué une génération en Belgique, c’est indéniable. Après la trilogie On est là là et Poudre aux Yeux, ils sortent deux albums Un Murmure dans le Vent et Un Cri dans le Silence. Ils font une tournée en France et en Suisse et montrent aux rappeurs belge que c’est possible. Senamo le reconnaît tout en expliquant que ça aurait été plus facile pour lui d’arriver avec son projet Poison Bleu en tant que nouveau rappeur. Malgré cela, on sent de la nostalgie et de la fierté quand il reparle de ces moments.




« J’ai tellement la tête dans le guidon que j’ai du mal à me rendre compte de ce qu’on a accompli. Je sais qu’en Wallonie il y a eu un vrai engouement, on jouait devant 10 000 personnes et ça nous a permis de vivre pendant un temps mais il n’y avait pas de structure, pas de streaming… J’ai conscience qu’on a aidé à construire ce « pont », au même titre qu’Ultime Team, James Deano,… On a fait un pas en avant, d’autres ont terminés le pont et c’est génial. Aujourd’hui les structures se professionnalisent, tout évolue et les jeunes en profitent. Lord Gasmique, Tawsen, Ico,… Ils sont deter et c’est cool ! »

Senamo est donc un ancien, un rescapé de la vieille génération. Il s’est remis en question et cherche à se présenter sous un nouveau visage qui le représente aujourd’hui. Il affirme enfin aimer ce qu’il fait, surtout au niveau musical, après 10 ans de carrière. Et cela donne un album éclectique mais structuré où l’artiste dévoile ses pensées sombres sous des airs chantés. Dans le titre Maladie Macabre, titre plein de symboles chrétiens (ténèbres, démons,…) qui le fascine, il dit je suis toujours le même qu’à la base, j’ai pas changé mes rêves.

La forme évolue… mais le fond est toujours le même, 10 ans plus tard. Est-ce que vous avez enfin compris?

(Crédits photo: Renaud Héritier)