Zed Yun Pavarotti: du chaudron aux étoiles – Check

Zed Yun Pavarotti: du chaudron aux étoiles

11 février 2019

Léo Chaix

Découvert au détour d’un énième clic sur une vidéo recommandée par YouTube en septembre de l’an dernier, on a pas décroché de Grand Zéro depuis. Complexe et bien construite, la mixtape de Zed Yun Pavarotti est une carte de visite des plus ambitieuses pour un artiste au prélude de sa carrière, qui s’annonce déjà sous les meilleures auspices. Bonne nouvelle, il sera au plus cool des festivals urbains: Les Ardentes (Liège), en juillet prochain.

Le rendez-vous est donné dans le studio d’enregistrement d’Artside, une cave en plein coeur de Paris. C’est dans cette ambiance enfumée, deux heures avant de monter sur les planches de La Place pour le concert Hip-Hop is Red, et à la veille de la sortie de Papillon (on vous met le clip juste ici), que Zed nous accueille dans son univers.

Salut Zed, merci d’avoir accepté cette interview. On va commencer par les bases : est-ce que tu es fan de League of Legends ou d’opéra ?

(rires) Non, j’avoue, j’ai jamais joué à ce jeu. Mais je me rappelle qu’avant, quand je ne m’appelais que Zed, j’avais un vrai problème de référencement sur YouTube parce qu’à chaque fois que je tapais mon nom, je tombais sur des vidéos de ce perso de League of Legends.

Y’a quand même une grosse référence à l’opéra.

Ouais, mais ça reste très spontané quand même. Je voulais avant tout trouver quelque chose de simple qui me corresponde. J’ai toujours fonctionné comme ça, que ce soit dans ma musique, pour mes clips ou autre, dès que j’ai une idée, j’essaye juste de savoir si ça me plaira toute ma vie. Et si oui, je la garde. Là, Pavarotti c’est une figure que j’aime et que j’aimerai toute ma vie, et ça me permet de noter mon originalité en portant ça dans mon blaz. Tu vois, je ne pourrai jamais faire autre chose dans ma vie en portant ce pseudonyme. Ca veut dire que là, sous le nom Zed Yun Pavarotti, ne sera concernée que ma carrière de rappeur. Pour le reste ça se fera forcément sous une autre identité.

Parce que tu penses déjà à faire autre chose un jour ?

Des fois je me dis que ce serait cool d’avoir quelque chose à côté oui. A terme, bien sûr, ce n’est pas pour tout de suite, mais j’aimerai bien arriver à écrire des symphonies un jour. Sans prétention aucune, mais juste pour moi j’aimerai bien.

A l’heure où on se parle tu t’apprêtes à sortir Papillon, qui est le deuxième extrait de ton premier album, French Cash. D’ailleurs est-ce vraiment ton premier album ou bien tu considères ça encore comme une mixtape, à l’image de Grand Zéro ?

Même French Cash je ne le présenterai pas comme mon premier album. J’ai besoin d’engranger un processus créatif plus marqué, et arriver à créer un projet à terme, dans son intégralité, avec des images, un thème, un fil rouge qui le dirige. Avec un réel écho entre les morceaux, une construction narrative, plus que des suites de morceaux. Je fais encore bien la différence entre un album et le reste. Ce n’est pas le même degré de liberté entre une mixtape et un album, et je considère comme une tape comme un passage transitoire entre deux étapes de la construction musicale d’un artiste. Je pense que c’est très important de faire une mixtape entre deux albums, ça permet de s’entraîner à d’autres styles, de tester des choses que tu ne testerais pas sur un album concret… C’est une sorte d’expérimentation. Par exemple SCH, j’aime sa façon de conceptualiser un album. En tout cas mon premier album ce sera dans une esthétique complètement différente de ce qu’il fait, mais dans l’idée du fil rouge ce sera ça.

Là dans French Cash clairement, ce sera le même degré d’investissement dans le travail mais c’est plus un amoncellement de morceaux qui créent une esthétique, plus qu’une construction qui se suit. Mais tout est travaillé, cohérent, ce ne seront jamais des mixtapes poubelles où je mets les morceaux que j’ai pas su placer autre part.

Ouais c’est pas juste caler des Autopsie ou des Capitales du Crime pour abreuver le public.

Non, mais du coup c’est risqué. Parce que si je travaille très bien les mixtapes, où fait-on la différence entre un album et une tape ? C’est à double tranchant. Je pense que je fantasme encore beaucoup le concept d’album, ça se trouve au moment où ça se concrétisera je me rendrai compte que ce n’est pas si différent. Mais bon on verra bien.

Tu bosses avec pas mal de structures jeunes et très prometteuses sur Paris comme MPC pour la promo, Artside en management, Jeune à Jamais…

(il coupe) Non je travaille pas avec Jeune à Jamais en fait. C’est un des premiers labels qui m’a contacté quand j’étais encore à St Etienne, mais ça ne s’est jamais concrétisé avec eux. Ca a crée un peu une discorde mais bon c’est la vie. Sinon oui pour le reste c’est vrai !

Comment s’est faite du coup la connexion avec MPC et Artside, qui sont deux structures avec une identité très forte et surtout qui travaillent avec les plus grands noms du rap français actuellement.

C’est Marin de chez Artside qui m’a contacté le jour de la sortie de Grand Zéro, qui m’avait écouté quelques mois avant sur Lexus par exemple. Ca l’a convaincu, il m’a approché par mail, on s’est appelés, on a fait un RDV et on s’est mis d’accord assez rapidement. J’ai beaucoup apprécié le fait qu’ils s’intéressent à moi malgré le fait que ce soit très différent de ce que MHD propose. Après, je pense que même si je n’ai pas une teinture musicale aussi ethnique que MHD, j’arrive quand même avec une couleur très singulière qui a pu les intéresser.

Et oui, je trouve surtout que ce que tu proposes, ce n’est pas ethnique, mais dans le paysage rap français on n’a jamais réellement proposé ce mélange. On est souvent confrontés soit à du rap provenant de grandes métropoles (Paris ou Marseille), soit de banlieue. Mais quelqu’un qui décrit, à sa façon, le spleen et l’angoisse de la province, avec un point de vue si personnel et une recherche de l’esthétique, on n’en a pas eu. Peut-être OrelSan à une époque… Comment tu t’es construit musicalement à Saint Etienne, ville la plus touchée par la désindustrialisation, la désertification urbaine et le chômage de masse?

Au-delà de l’aspect urbain de la ville qui est inspirant, j’essaye de me positionner sur un champ plus social. Parce que je musicalement, je suis totalement le fruit de mon environnement. Et je te parle de contexte social parce que tout cela crée également des histoires familiales, des complications dans ta vie en général. La vie que j’ai eue là-bas m’a inspirée… Je sais pas, par exemple regarde, quand je suis arrivé à Paris, j’avais presque une pathologie sociale c’est-à-dire que rien que de voir des gens bouger autour de moi, c’était ultra dur à accepter. J’avais l’impression de m’effacer complètement, d’être bouffé par les gens, par la ville, par son intensité. Après j’en suis sorti mais c’était dur. La province, ou une ville comme Saint Etienne en tout cas, ça autocentre, mais sans pour autant te donner quelconque opportunité pour le futur. C’est impossible de se construire un égo là-bas quoi. T’es constamment maté, y’a trop de néant. Personne ne peut vraiment réussir, même au niveau local y’a presque rien, très peu de structures structures hip-hop, de bookers, de labels… J’ai quand même beaucoup été aidé par Le Fil, c est la SMAC de Saint Étienne, et ils m’ont beaucoup appuyé pour les résidences. Je leur suis très reconnaissant. Mais à part ça, c est compliqué.

T’es arrivé quand à Paris ?

Au moment de la signature. Je refusais de monter seul à Paris sans assurance que ça fonctionne. Je voulais pas me dire « allez, je tente de percer et on voit ce que ça donne ». Je savais que je me ferai bouffer. Donc je m’étais dit qu’il fallait que je me fasse repérer depuis St Etienne, c’est arrivé, donc c’est bon.

T’aurais fait quoi si t’avais pas fait de son ?

Soit dans le cinéma, soit vétérinaire. J’ai plein de chats, j’aimerai bien avoir des chiens aussi. Même les insectes, ça me fascine tu vois.

Mais c’est plus compliqué de soigner une fourmi qu’un chien.

Oui, faut être très précis avec les aiguilles.

Qu’est ce que ça fait de passer de Saint Etienne à Paris ? De côtoyer la mondanité parisienne aussi, sorte de voile duquel il faut constamment se parer pour bien paraître en société. Est-ce que tu fantasmais ça ? Ou tu méprisais un peu ce côté trop faux ?

Je pense que j’ai eu une chance énorme en signant sur Artside. Tu vois MHD, on parle d’un mec qui fait une tournée aux US, qui fait des triple platine, c’est une grosse tête quand même. Mais gros, c’est une des personnes les plus simples à aborder que j’ai rencontré dans milieu, c’est fou. Dès la première fois où je l’ai vu – déjà, il était impatient de me rencontrer – il a été très enthousiaste à l’idée de me rencontrer et de me voir collaborer sur le même label, donc c’est j’ai réellement atterri dans un univers sain qui me correspond je pense. Donc le monde de la nuit, ses vices et ses mondanités, je ne suis pas trop dedans.

Après forcément j’avais un peu cette fascination pour ce monde que je ne connaissais pas vraiment, j’essayais d’aller aux soirées, de rencontrer des gens… Une fois j’étais à une soirée avec Paris Hilton (rires). Là c’était vraiment le zoo, ça ne m’a pas trop plu, mais sinon à part ça, ça va. Et puis j’aime bien Paris ! Ici, tu peux construire de vraies choses. Tu rencontres des gens, tu peux te faire de vrais amis. Je préfère largement ça. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans la tristesse qui m’a entourée jusqu’à présent et qui me rendait malheureux. Sans pour autant me travestir et changer du tout au tout.

Quand on écoute ta musique, c’est vachement abstrait, mais quand on lit entre les lignes, tu communiques beaucoup de valeur. La famille, l’amitié, la solidarité…

De ouf, c’est vrai. Surtout que quand tu es dans le néant dans lequel j’ai été pendant si longtemps, tu te rends compte que la famille, en tout cas moi je me suis rendu compte, que c’est vraiment ce qu’il fallait que je protège et que je garde près de moi. Les galères dans ma famille ça ne s’arrêtera jamais. Donc c’est un peu une mission pour moi maintenant, un but à atteindre, de faire en sorte qu’elle soit bien et qu’elle ait de moins en moins de soucis. J’ai juste envie de leur permettre de faire ce qu’ils veulent. C’est ça qui me déchire le plus, c’est de voir des gens qui ne peuvent pas accomplir ce qu’ils ont envie. C’est terrible. Y’a des gens pour lesquels la vie est plus un fardeau plus qu’une joie. Connaître quelque chose d’agréable ne serait-ce qu’une fois dans leur vie, c’est ça que j’ai envie de permettre à certains personnes, chez qui la part plaisir est infime. Ca crée un décalage, parce que moi je commence à vivre un truc sympa là, mais quand je rentre chez moi c’est pas pareil quoi.

Et tu te sens illégitime, de vivre cette vie plus simple ?

Non, non. J’ai bossé, j’ai pris des risques, je me suis mis en galère. Y’a une instantanéité qui peut interloquer certaines personnes, parce que la création artistique reste toujours un peu incomprise et mystique. Mais ma mère sait très bien ce que je fais, et considère ça comme un boulot. Elle sait que quand j’étais dans ma chambre à faire des prods, des maquettes etc. psychologiquement j’étais à fond. Elle en a conscience. Et j’aurai jamais pu réussir sans le soutien indéfectible de ma mère et sa confiance en moi, c’est sûr.

Tu te vois où dans dix ans ?

Vivant. Ce serait bien.

(Crédit photos: Ivry Zoo)

Léo Chaix

Grand brun ténébreux et musclé fan de Roy Mustang, Clifford Simak et Supertramp, je laisse errer mon âme esseulée entre les flammes du Mordor et les tavernes de Folegandros. J'aurai voulu écrire le couplet de Flynt dans "Vieux avant l'âge", danser sur du Kim Wilde en 81 et monter dans le Yamanote Line avec Zuukou Mayzie. Au lieu de ça, je rédige des conneries pour un site de rap. Monde de merde.