Flynt éclaire toujours sa ville – Check

Flynt éclaire toujours sa ville

7 novembre 2018

Etienne Antelme

Après J’éclaire ma ville en 2007 et Itinéraire bis en 2012, Flynt vient de sortir son troisième album, « ça va bien s’passer ». Comme dans ses textes, Flynt est entier en interview. Quand on lui demande s’il pense qu’il y a un âge pour apprécier son projet, il a le sens de la formule, une fois de plus, pour décrire comment il voit son audience : « Je cache pas l’âge que j’ai, je ne veux pas faire plus jeune que ce que je suis. C’est un album d’un mec de 40 piges, donc peut-être ça parlera plus à des gens de mon âge. Mais comme je disais dans l’album d’avant, en vérité, je pense que c’est moi qui fais le rap que les moins de 20 ans devraient écouter ». Avec son nouveau projet, Flynt continue d’éclairer sa ville.




Dans ce nouvel album, le propos est mature, revenu de nombreuses illusions sans misérabilisme, mais aussi bien lucide, tranchant. Rappeur « next door » au sens noble du terme, Flynt se fait plus que jamais chroniqueur social, jusqu’au cœur du quotidien du plus grand nombre. S’apprêtant à voyager à nouveau « à neuf dans une caisse » pour sa tournée, il semble enthousiaste, à l’idée d’honorer ce nouveau rendez-vous avec le public. Entouré d’une équipe plus fournie qu’auparavant, il rappe sa nouvelle direction artistique : « Mieux vaut faire envie que pitié » (« ça va bien s’passer »). Revendiquant une fraîcheur qui assume son âge, la musique du parisien réussit le pari d’évoluer sans se trahir. Sur des beats à la couleur homogène, il livre à nouveau des textes précis, qui touchent souvent leur cible, c’est-à-dire l’émotion de l’auditeur. L’attente n’aura pas été vaine, et méritait un échange sur la mécanique du projet.

Il me semble qu’il y a une présence importante des Belges sur ce nouvel album

Flynt : Alors il y a Dee Eye qui a produit « Champions du monde », Dark Factory qui a produit « Joga Bonito », Sofiane Pamart (qui vit en Belgique) et JeanJass. Jules Fradet a fait des arrangements sur « A partir d’aujourd’hui ». Et il y a quatre morceaux – un tiers de l’album – qui ont été enregistrés par JeanJass : « A partir d’aujourd’hui », « Ça va bien s’passer », « Dos rond » et « Joga Bonito ».

Tu l’as connu comment JeanJass?

Début 2015, on avait une date de concert en commun à Tournai. Quelques jours avant le concert, j’étais allé voir sur le net ce que faisaient les autres artistes à l’affiche. J’avais écouté ce qu’il faisait et j’avais trouvé ça mortel. Dans la foulée, je reçois un message via Facebook qui disait en gros : « salut c’est JeanJass, j’ai kiffé « J’éclaire ma ville », ce serait cool qu’on fasse un morceau ensemble ». On s’est vus là-bas, on a discuté un peu et on est resté en contact. Et c’est lui qui m’a mis en contact avec des producteurs belges comme Dark Factory, Dee Eye ou encore BBL.

Est-ce que tu penses que la montée en puissance du rap belge a apporté quelque chose au rap francophone? A l’époque de ton dernier album, le rap belge n’était pas aussi visible.

Il y en avait déjà, mais là il y a eu une conjonction de choses, avec beaucoup d’artistes belges qui sont sortis au même moment. JJ et Caba, Isha, Damso, Hamza, La Smala, et il y en a d’autres. Ça a ramené une fraîcheur sur le rap francophone, et c’est très bien. Le rap vit en Belgique depuis des années, je suis toujours allé faire des concerts en Belgique, il y a un public super là-bas. Je pense qu’ils sont très décomplexés, ils ont leur propre identité qui s’est affirmée ces dernières années.

Tu penses vraiment que si Stromae avait clippé (« Formidable« ) à Clignancourt ou Châtelet les Halles, il aurait passé sa journée au poste ?

Oui, il y a des chances. Je sais pas comment c’est à Bruxelles parce que j’y vis pas, mais disons qu’il y a un vrai problème avec la police en France. Ça a été pointé par Amnesty International dans son rapport sur les droits humains. En France il y a un problème avec les autorités policières, c’est un fait, ce n’est pas une vue de l’esprit.

Le titre où on entend cette phase, il est assez mélancolique par ailleurs.

Il faut le replacer dans son contexte, c’est dans  « Dos rond » c’est un morceau qui parle de Paris, c’est  mon « J’éclaire ma ville » 2018. C’est un regard cinématographique sur Paris. Et effectivement, les violences policières ont une place dans ce morceau. Quand je dis: « Cinq contre cinq, c’est qu’au futsal », c’est pour dire que… on l’a vu, même avec MHD, qui a posté la vidéo de son frère. Les mecs ils se mettent à huit sur eux. Ils sont armés, ils représentent l’autorité. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais ce qu’on constate c’est qu’il y a brutalité policière. Le mec il est là contre un mur, il n’allait pas sortir une kalash, les policiers ne semblaient pas en danger. Il y a un vrai problème là-dessus. La vraie raison, c’est qu’ils n’ont pas d’autorité, tu n’as pas envie de les respecter parce qu’ils ne respectent pas les gens, ils font souvent directement usage de la force et il y a trop d’abus. Comme disait Coluche dans un sketch : « Plus il y a de flics, plus les gens ont peur », et c’est encore vrai aujourd’hui. Ce sujet-là en France c’est grave.

https://www.youtube.com/watch?v=MyZcPwmsQsY

Tu rappes que tu écris la nuit dans « ça va bien s’passer« . Est-ce que des fois, ça améliore tes journées du lendemain au travail, quand tu as trouvé des rimes qui te plaisent particulièrement ?

Oui bien sûr, ça fait partie des plaisirs de la vie d’artiste. Moi une des plus grandes joies que j’ai dans ma vie, c’est quand j’arrive à écrire de bonnes chansons rapidement. Comme « Lutèce », « J’en ai marre de voir ta gueule », par exemple, ou « Jai trouvé ma place », « Champions du monde » et à chaque fois c’est un plaisir.

Il y en a d’autres qui ont été plus longs à écrire?

Ça peut arriver, dans l’album, « Chanson pour ton fils », ça m’a pris deux ans d’écriture. Pour trouver les mots justes.

Ce piano/voix avec Sofiane Pamart, tu vois ça comme une prise de risques?

Oui, car ce n’est pas du tout mon registre, chanter avec juste un piano et ce thème, et cette façon de chanter pour le coup, parce que ce n’est pas vraiment rappé. En fait, j’ai toujours aimé Renaud, et je me suis dit que j’avais envie d’écrire une chanson triste, c’était mon point de départ, de faire une chanson triste. Je veux que les gens soient émus en l’écoutant, qu’ils aient des frissons, qu’ils pleurent. Tout le monde ne sera pas sensible à ça, mais ceux qui le seront, le but c’est qu’ils le soient vraiment. Après avoir écrit le texte, j’ai contacté Sofiane qui est très doué. Il fallait créer quelque chose pour ce texte, que quelqu’un le mette en musique. Je suis parti d’un instru que je n’aimais pas, mais qui m’inspirait, qui avait le mood que je voulais en termes débit. C’est un peu un ovni pour moi, j’appréhende un peu la sortie. Je commence à avoir des retours, par exemple je l’ai fait écouter à une photographe, avec qui j’ai ridé dans Paris pour faire un shooting. Elle a voulu écouter quelques morceaux, et je lui ai dit : « tiens, je vais tester celui-là », et elle a pleuré. Alors je ne savais pas s’il fallait que je sois content ou non (rires) Mais si je pouvais faire pleurer tout le monde avec cette chanson, je serais très content, c’est mon projet. Si tu as été ému, j’ai réussi ce que je voulais faire.

Les plus belles chansons, c’est les chansons tristes souvent, non?

Moi quand j’écoute Barbara, je suis fasciné par l’émotion qu’elle arrive à transmettre par sa voix, ses textes, son interprétation. Il y a des chansons, quand tu les écoutes, même si ça te rend triste, tu vas prendre plaisir à la réécouter, parce que ça provoque quelque chose en toi. Et ça sert aussi à ça la musique, que ce soit dans des émotions positives, festives, ou des émotions plus tristes. Et c’est vrai que dans ce registre-là, j’ai aussi écrit « Champions du monde », qui parle d’une fête à l’échelle nationale, mais qui te transmet des émotions aussi. Parce que ça te rappelle des souvenirs heureux. Et pour moi « Chanson pour ton fils » et « Champions du monde », c’est la même chose. Je raconte une histoire triste dans le premier, et je raconte une histoire joyeuse dans le second. Et « Champions du monde », au-delà de la volonté d’écrire ce morceau pour l’Histoire, c’est vraiment le story-telling ultime. L’autre jour je l’ai réécouté parce que je le répète pour la scène en ce moment. Et quand je l’ai réécouté, ça m’a fait quelque chose, j’ai ressenti les émotions que j’ai eues au coup de sifflet final. Il y a des mecs ils ont pleuré, il y a des mecs qui ont ri aux larmes. Et le projet aussi dans ce morceau c’est de transmettre une émotion joyeuse, je ne fais pas que dans la tristesse. Après, si tu le fais écouter à un belge, il ne va pas forcément avoir la même émotion, puisque je parle entre autres du fait que la France a battu la Belgique en demi-finale.

Dans la construction de l’album, je trouve que l’on peut voir une parenté entre « Avant les regrets » et « Notes pour trop tard » d’Orelsan, qui clôt son album également.

C’est marrant, on m’a déjà dit ça. Avec Orel, quatre jours avant la sortie de son album, on est parti au resto, et on a eu l’occasion de parler de la genèse de son disque, de son évolution. Et du mien aussi, même si je n’étais pas très avancé, mais j’avais déjà écrit ou amorcé des chansons comme « Chanson pour ton fils », « A partir d’aujourd’hui » et « Avant les regrets » aussi. Et en discutant avec lui, j’ai eu le sentiment qu’on a eu un peu le même cheminement. Une quête d’évolution dans la forme, de pas faire ce qu’on avait fait avant, musicalement, au niveau du flow, des instrus qu’on a choisies, et cetera. Et dans les thématiques, même si je n’avais pas écouté son disque à l’époque, quand j’ai écouté le morceau dont tu parles, quand j’ai écouté « Tout va bien », qui s’adresse à un enfant, tout comme moi dans  « Chanson pour ton fils ». Y a « Paradis » chez lui et moi « Pages blanches, nuits roses », c’est deux chansons d’amour. On a abordé des thèmes, l’amour, le succès, l’échec, la mort, la routine, qui sont communs, avec des formes qui sont proches. Je ne veux pas me comparer à lui, mais il y a quand même des similitudes, toutes proportions gardées bien sûr. Et tout a un lien avec « ça va bien s’passer », quand je dis « une porte s’ouvrira » dans « A partir d’aujourd’hui », c’est trois mots dans la chanson, mais on retrouve cette petite touche d’espoir, qui est le thème principal de mon album.

Etienne Antelme
(Crédits photos: Nina Magdas)