Gros Mo, le rappeur qui riait sans sa barbe – Check

Gros Mo, le rappeur qui riait sans sa barbe

5 novembre 2018

Lola Levent

Plutôt nounours que rappeur diabolique, comme pourrait le croire celui qui ne va pas chercher bien loin, Gros Mo est l’ex-barbu sous #SPLIFF le plus terre-à-terre du rap game. Mais c’est sans pression aucune que l’artiste revient sur son histoire du haut de son brouillard perpignanais… Finalement, on n’est pas bien là ?

Gros Mo n’est pas particulièrement un adepte des interviews et je m’inquiète d’en rajouter une couche en lui faisant dérouler pour la énième fois toutes les étapes de son parcours. Mais celui qui vient de sortir « Les étoiles », son nouvel album, m’assure qu’il n’a pas peur de se répéter : « J’oublie tout donc je modifie même la vérité, c’est en fonction des trous de mémoire, on est obligés de remixer parfois tu comprends [rires] ! ».

Qui sait, toute cette interview n’est peut-être qu’une suite d’inventions et de rêveries, mais l’on aurait pu continuer encore longtemps à faire des plans sur la comète avec le rappeur. À imaginer que les choses pourraient être autrement.

Rap Deliveroo

C’est que la vie sur Terre (à Perpignan, pour être précis), elle, « n’est pas seulement celle que tu crois ». « Aujourd’hui j’ai trente ans et je peux pas faire autre chose que de la musique parce que je fais ça depuis trop longtemps » m’explique l’artiste, mais mener cette vie de rappeur n’est pas toujours synonyme de kiff personnel, comme l’était le projet Les # de Gros Mo. Il faut en passer par quelques séances de tir à l’aveuglette, tenter de séduire la plus large audience possible. « Ceux qui veulent du bre-som, ceux qui veulent de la musique de ‘beurettes’, ceux qui veulent de la musique sentimentale… ». « On a faim », ajoute le rappeur en riant (à moitié).

Le rap « multi-services » que propose Gros Mo est moins une farce cynique qu’un premier moyen de survie pour celui qui, quelques années en arrière, sous morphine 24/24h après son accident, ne supportait plus d’aller à l’école. Après l’abandon du breakdance et les ateliers d’écriture, vers l’âge de vingt ans, le rap devient une ambition plus sérieuse. « J’ai commencé à bédave aussi, et ça m’a mis dans un mood où j’ai un peu approché la musique différemment ».

Le cloud rap de Gros Mo peut se faire partie de plaisir, comme le montre son refus de faire du rap à texte : « J’ai pas envie de lire des livres, j’aime pas lire des livres [rires] ! » Et puis ce rap-là est davantage réservé aux rappeurs avec lesquels l’artiste collabore, parmi lesquels Alpha Wann et Deen Burbigo.

« Eux, ce sont même plus des rappeurs français, ils ont mis le level tellement haut ! ». De son côté, Gros Mo alterne les méthodes de travail, mais se concentre majoritairement sur les toplines et la mélodie. « Quand j’écris ça sort comme ça, je me prends pas beaucoup la tête.  J’ai du mal à me dire que j’ai des punchs de ouf, que mon couplet est lourd. Moi, je fais du yaourt jusqu’à ce que je trouve une rime. Les mots, c’est juste du décor, c’est comme si je mettais des autocollants ! »

La bourse ou la vie

Le rappeur travaille en famille depuis ses débuts puisque tout se passe au studio d’En’Zoo, son producteur, et Némir n’est jamais bien loin. « C’est un peu grâce à la Casa Musicale, le lieu qu’on fréquente à Perpignan. Si tu kiffes la culture hip-hop et que tu es dans le coin, c’est un endroit pour toi. J’ai fait mes armes en traînant là-bas. Némir avait un groupe qui s’appelait Unité de Valeur, j’étais un peu fan de leur rap smooth-boom-bap-sucré plein de bonnes vibes ! Puis ils se sont séparés et Némir a commencé à donner des ateliers d’écritures auxquels j’étais inscrit. On a commencé à kicker en freestyle. Un jour, il m’a dit qu’il allait sortir un projet solo et qu’il avait besoin d’un backeur pour ses dates. C’est là où j’ai commencé à prendre au sérieux le taff d’artiste. Aujourd’hui on est une team et on s’aide mutuellement.  »

Tandis que les projets des deux rappeurs se suivent et s’entrecroisent, En’Zoo, lui, créé le liant qui donne sa cohérence aux projets de Gros Mo. « J’aime bien écouter un album du début à la fin, et En’Zoo a sa pâte, ce qui nous permet de faire des propositions homogènes, avec des montées en émotion, etc. C’est difficile à obtenir avec plusieurs beatmakers. Ça me dérange quand il n’y a pas le même grain, le même mix. » Et tout est pensé pour l’interprétation une fois en live. « Sur scène, t’as un retour direct. C’est pas : tu sors un clip, tu zieutes les vues, tu lis les commentaires… Si ça discute et que ça part boire des coups, c’est qu’il y a du taff. Mais quand ça accroche, que certains connaissent les morceaux… C’est tellement kiffant de se dire qu’on n’a pas charbonné pour rien. »

Et le charbon ne s’arrête jamais, puisque Gros Mo s’impatiente déjà de la sortie de son prochain projet, « pour fermer la gueule de ceux qui disent qu’il n’y a pas assez de rap dans celui-ci ». Mais en attendant de pouvoir écouter ces titres « très bres-som, très barbus », et ceux qui viendront encore après, dans le vrai album, celui qui contiendra des morceaux plus profonds et plus aboutis, on voudrait savoir pourquoi Gros Mo a choisi le single « Les Étoiles » pour porter le titre de son projet du même nom.




« Parce que c’est le morceau qui a clôturé l’album et que c’est mon préféré », me répond le perpignanais. « C’est le seul que je ne me suis pas interdit d’écouter pendant la période d’attente avant la sortie. Il est dans un délire un peu plus froid, il répond bien à ‘Désolé’. » « Désolé », aka le morceau qui représente le mieux Gros Mo en ce moment, selon ses propres dires.

« Je suis un grand amoureux et si j’avais pu sortir un projets avec que des morceaux comme ça, pour ma femme… Elle en a marre que je fasse du son, que j’aille en concert, que je tourne des clips… J’ai envie de faire de la musique pour me faire pardonner car je capte que la vie d’artiste peut être égoïste, qu’il y a d’autres choses à côté. Mais je le fais aussi pour elle, pour qu’on s’en sorte et qu’on puisse vivre aisément. »

Petits mots, grosses frayeurs

Ok, l’artiste est partagé entre la frustration d’une sortie de projet un peu précipitée et l’impossibilité de proposer uniquement des titres dans la veine de « Désolé » et « Yemma », sur lequel on retrouve Némir, parce que le rap jeu exige toujours plus des artistes qu’ils se renouvellent, qu’ils changent de thèmes et de registres comme de chemises et qu’ils démontrent leur savoir-faire sous toutes les coutures. Mais l’intention générale du rappeur s’accompagne par ailleurs d’une pensée précise : « J’en ai marre de faire peur aux gens » me dit Gros Mo, sans lassitude ni amertume apparentes.

Mais toutes ces auto-caricatures qu’on trouve dans Fils de pute et Les # de Gros Mo, ces phases terriblement ironiques qui nous forçaient à remettre en question nos préjugés, c’était pas pour rigoler ? « Si, mais combien de personnes ont compris ça ? J’ai capté que les gens prenaient les choses au pied de la lettre quand j’ai sorti le clip de ‘#Boulehya’. C’est limite si les gens de mon entourage angoissaient quand ils le regardaient. Je me disais : ‘C’est fou de pas faire la part des choses !’. Moi, je suis à fond dans les vidéos qui font flipper, avec des clowns et tout, j’adore Halloween et les films d’horreur parce que j’aime me faire peur.  »  Retourner les idées reçues contre elles-mêmes, oui, mais se les prendre en pleine face, ça devient moins marrant, et ça finit par transparaître dans la musique.

« Depuis que je me suis rasé la be-bar, ça a changé. Je l’ai fait pour ma fille, qui venait de naître, parce que je trouvais pas ça hygiénique et qu’elle tirait dessus tout le temps [rires]. Et puis j’avais envie de dégainer un nouveau personnage, voir où les gens me suivraient. Mais pendant les attentats, nous aussi on prenait des trains et des avions tous les jours, nous aussi on avait peur. J’étais pas à l’aise parce que les gens avaient peur de moi et ça me faisait peur qu’ils aient peur de moi ! Imagine si je faisais paniquer quelqu’un et qu’il mettait une patate, qu’est-ce que j’en sais ? Il y avait des gens agressifs. Je me suis embrouillé plein de fois. C’était une mission et ça s’est ressenti dans ma musique parce que j’ai traversé des moments tendus. »

Mais la résilience prend le dessus, et c’est finalement le sens de l’humour à toute épreuve de l’artiste qui l’emporte. « C’est pour ça qu’on fait de la musique brésilienne ou cubaine ! Moi, je dis pas que je viens du Maroc ! Il y a deux jours, on a joué avec Némir devant le public d’Eddy de Pretto. À la fin, deux daronnes sont venues nous demander si on était réunionnais. Nous on disait : ‘oui oui [rires] !’ On s’ajuste, on s’adapte ».

Non seulement la vie n’est pas seulement celle que l’on croit, mais celle-ci finit par sonner drôlement comme un sketch de Waly Dia. Reste à espérer que l’ex-petit rat du breakdance qui « ne [sait] plus qui [il est] » devienne, on lui souhaite, rappeur étoile.

Lola Levent

(Crédits photos : Henry Ogouma)

Lola Levent

Lola Levent jongle entre poésie, critique d’art et journalisme musical. Dans ses rêves les plus fous, Jeff Koons aurait 0 vue sur son compte YouTube et le portrait de Ninho serait exposé en 4x3 au MOMA.