La transformation de Senamo – Check

La transformation de Senamo

23 octobre 2019

Thomas Haulotte

À l’occasion de la sortie de son projet Les Fleurs du Mal, on a rencontré Senamo, et peut-être même un peu de Samuel, à Bruxelles. L’occasion de se rendre compte de son évolution musicale, déjà, mais aussi de parler des démons qui l’accompagnent au quotidien.

“Au fil des années, Senamo est devenu mon alter ego. Ce côté froid, sombre, je l’ai pas dans la vraie vie. J’aime trop faire le gamin avec mes potes. Mais je peux pas vous offrir Samuel, c’est trop intime.” 

Senamo, Samuel. Je ne savais pas vraiment lequel j’aurai en face de moi ce vendredi au Old Star Games, un shop de jeux vidéo dans le centre de Bruxelles. La dernière fois que l’on s’est vu, j’avais eu affaire à un gars intéressant, curieux, et surtout complexe. “Je trouve ça cool d’avoir une palette de couleurs. Si j’étais un super-héro, ce serait Batman, avec son ambiguïté. Je préfère ça à un personnage lisse.”

Il arrive au magasin en training Benibla, cheveux blonds. En passionné, il connaît bien l’endroit.

Directement à l’aise, la discussion se transforme naturellement en interview. Il est super content de pouvoir enfin sortir son projet, Fleurs du Mal, qui est prêt depuis plusieurs mois. Déjà un an et demi sont passés depuis Poison Bleu.  

“Ces deux projets sont un peu la main gauche et la main droite. Poison Bleu est super clinique, anxiogène. Fleurs du mal est plus cool et détendu. Avec ce projet, j’ai préféré remonter plutôt que d’aller encore plus loin dans le sombre. J’aurai aimé le sortir plus vite, mais tu connais les embrouilles de clip, de mauvais timing…”

L’ennui comme ennemi

Une traduction doit être faite pour les plus purs d’entre nous: le poison bleu est une métaphore pour la codéine et les Fleurs du Mal représentent la weed. Rien à voir, donc, avec les poèmes de Baudelaire. Même s’il avoue avoir été impressionné par la vie de l’écrivain en allant se renseigner par la suite. Bref. Avec ces deux titres d’EP, Senamo montre ce qu’il fait de mieux: parler de thèmes courants dans le rap avec un champ lexical qui sort de l’ordinaire. Et le sujet de la drogue l’a suivi depuis le début. 

“J’ai du mal à me détacher de ça. La cause principale est l’ennui. Je me fais vite chier et ça me donne envie de me droguer. J’ai l’impression d’être toujours torturé par des pensées, de réfléchir constamment. Ce truc (ndlr: la codé) éteint mon cerveau. Clac. Et je peux me concentrer sur un point, une série par exemple. C’est super agréable dans cette société où il y a des informations partout, tout le temps, de faire une pause.”

“Avec le recul, je suis pas sûr que je le referais. C’est pas une drogue anodine, elle pourrit ton corps, te dérègle ton système. Tu grossis et on peut le voir à ton teint. C’est pas à prendre à la légère, c’est pour ça que j’en parle avec des mots aussi forts dans mes textes. C’est l’enfer, une crasse monumentale.”

Les Fleurs du Mal, il en parle depuis le début. Vous le voyez encore crâne rasé, joint à la bouche, avec ses potes du Quartier Sud ? Moi aussi. Et pourtant, depuis cette période, l’évolution de sa musique est importante. Il en a d’ailleurs subi les conséquences.

“Je comprend pas ceux qui m’écoutent depuis dix ans et qui me taclent pour rien. C’est relou. Quoi que tu fasses, c’est pareil. C’est encore pire pour un jeune qui débute. S’il kiffe un son mais qu’il voit les commentaires négatifs, il va se dire que ce qu’il écoute est pourri. Il va aller vers quelque chose qui fait l’unanimité, ça uniformise la musique.”

Nouvelle étape

Depuis un peu moins de deux ans, Senamo vit donc un nouveau départ. Sa musique, loin du boom-bap de l’époque Smala, s’inspire de courants américains très modernes. Comment ne pas penser à Lil Peep en écoutant les Fleurs du Mal, l’intro du projet éponyme ? Aussi, sur Wears, un morceau fait pour la scène, il assume complètement le côté lilpumpien de la prod. Senamo est également un grand fan de XXXtentacion. Bref, un virage à 360°. Forcément, cela lui a fait perdre une certaine audience réticente au changement. Aujourd’hui, il assure faire de la musique pour le kiff, rien d’autre. 

“Je réalise que je fais du rap de niche, un truc assez fermé, et j’ai envie d’aller à fond là-dedans. Tant mieux si ça marche, mais l’important c’est que je sois fier de ce que je sors, que je sois bien dans mes baskets.” 

Justement, ce projet clôture un chapitre pour le Bruxellois qui quitte Back in the Dayz pour lancer une structure plus petite, plus adaptée à ses besoins. “C’est une super structure pour les gens qui ont besoin d’un levier. Ils ont les outils pour ça, si t’as du succès c’est un véritable moteur. Moi, aujourd’hui, j’ai envie que ça aille plus vite, de balancer des clips plus souvent, d’enchaîner. On s’est rendu compte que c’était mieux que je continue ma route de mon côté.”

En dehors de Back In The Dayz, pourtant, les structures sont peu nombreuses à Bruxelles. À l’exception de La Brique et de certains petits labels, peu de choses sont faites pour aider les rappeurs à décoller. Et c’est encore plus valable au niveau des pouvoirs publics. “Aucun de nous (ndlr: rappeurs belges) n’a le statut d’artiste. C’est une aberration. La Belgique n’arrive pas à subsidier ses artistes. Et donc moi, si le rap paye pas, je n’ai plus rien du tout. Depuis qu’on fait plus de concert avec La Smala, ma nouvelle économie est un peu ghetto, j’avoue. Et c’est pas l’État qui va aider.”

S’il a rencontré quelques difficultés en chemin, Senamo reste décidé à faire ce qu’il aime. Comme il le dit, le premier objectif est d’avoir envie d’écouter ses morceaux. Et malgré les années qui passent, il est motivé, avec une vision plus claire de sa musique que par le passé. Après Poison Bleu et maintenant les Fleurs du Mal, un troisième projet est en préparation. Affirmer sa nouvelle identité, enchaîner les morceaux et rester loin de ses démons, voilà quelques belles résolutions pour le futur.

Thomas Haulotte
(Crédits photos: Romain Claes)