Longue vie au Prince Waly – Check

Longue vie au Prince Waly

10 décembre 2018

Lola Levent

Il vient de signer un clip incroyable et sera en concert à Bruxelles ce jeudi 13 décembre pour fêter les 10 ans de Goûte Mes Disques: on parle de l’unique Prince Waly. On a profité de l’occasion pour savoir à quelle sauce le rappeur de Big Budha Cheez allait nous cuisiner dans son prochain EP, BO YZ, qui sortira en janvier 2019.

Prince Waly n’a toujours pas son permis (il l’a troqué contre des vacances en Espagne avec ses potes) mais on ne voit pas bien ce qu’il pourrait lui manquer d’autre. Le rappeur montreuillois, membre du tandem Big Budha Cheez, à qui l’on doit Épicerie Coréenne, sorti cette année, sait parfaitement rider un projet, comme le prouvait déjà Junior, son premier EP solo paru en 2016, avec Myth Syzer à la prod. Et, s’il est trop tôt pour vous parler du prochain, on peut déjà vous dire qu’il va mettre votre film préféré à l’amende.

Enfin, pas tout à fait. Parce que cette fois-ci, le Prince de Montreuil explore des couleurs plus nuancées, joue moins systématiquement du storytelling, lâche un peu prise sur son héritage hip-hop et s’offre des collaborations on ne peut plus variées. Le résultat est tantôt festif, tantôt émouvant, et parvient à innover tout en s’appliquant à l’exercice du mainstream. On a discuté du parcours du rappeur jusqu’à ce jour lors de la première du clip « Marsellus Wallace », qui se suffit à lui-même pour annoncer la suite…

Tu peux nous parler du morceau et du clip que tu viens de sortir, « Marsellus Wallace » ?

C’est vraiment incroyable. Le clip est produit par Ocurens et réalisé par Valentin Petit. On nous a mis en contact et quand on s’est vus, je lui ai parlé du mood un peu bre-som dans lequel j’étais à ce moment-là. Ensuite, je lui ai envoyé des tracks, il a commencé à écrire un scénario… Et ce qu’il m’a envoyé c’était un truc de malade ! Le truc que j’ai toujours rêvé d’avoir ! Genre, que tu regardes quand t’es petit sur MTV. Et le tournage était carré. Quand j’ai reçu le clip, j’étais en mode « wahouh, c’est moi dans la télé là ! » La direction de Valentin Petit est dingue, et nos univers concordent donc ça a donné un truc magique. Il m’a capté et comme il est très fort, il sublime mon univers. C’est le gars qu’il me fallait.




Tu te verrais comédien ?

Je ne me suis jamais trouvé bon en acting mais d’après les gens je ne suis pas trop mauvais ! Ça n’a jamais été ma vocation mais pour ce clip il fallait que je me donne à fond et quand je le regarde je suis satisfait. Mais ce n’est pas quelque chose de facile. J’ai regardé énormément de films, je suis un grand cinéphile… J’adore Denzel Washington, Brad Pitt… Paid in full, c’est mon n°1. Ce que je veux dire, c’est qu’à force de regarder plusieurs fois le même film, tu apprends un petit peu. Après, devant ton miroir, tu mimes un peu les scène (rires)… Je pense que ce clip, c’est le début de quelque chose, il y aura un avant et un après.

Ce titre apparaîtra sur ton prochain projet, qui est plus « actuel » que les précédents. Pourtant, il ne tombe pas dans la stratégie de la palette, qui consiste à montrer tout ce dont tu es capable. Tu restes toi-même à 100% avec juste le truc qu’il faut pour basculer dans quelque chose de moins « oldschool »…

Je ne vais pas dire que c’était le but mais il faut savoir que ce que j’ai pu faire avant, pas tout, mais la plupart, c’était du rap pour les rappeurs. Ou alors je rappais pour mes grands frères, pour certaines personnes. Je pense que ça a marché mais après je me suis demandé si c’était vraiment ce que je voulais faire. Je me suis dit : « fais ce que t’aimes, fais seulement de la musique ». Il faut que je puisse m’épanouir aussi, d’où les featurings improbables… Il y a même un son avec un tout petit peu d’autotune, on a testé. En tout cas, le résultat me plaît, c’est le plus important de toute façon. Je pense avoir une identité, avoir une image, et ce n’est pas que je la contrôle, c’est que c’est naturel en fait.

Ça y est, les journalistes vont arrêter de bloquer sur le côté rétro de ta musique !

Totalement. Mais tu sais, je suis né en 1991, j’ai donc grandi dans les années 1990 sans les avoir vraiment vécues. J’ai vu mes grands frères, mes grandes soeurs, qui avaient les Tommy Hilfiger, les Nike… Pour moi, c’est vraiment une période de ma vie où j’étais comme une éponge : le style, les musiques, les films… Aujourd’hui, j’ai tout simplement pensé que c’était le moment d’essorer, de ressortir tout ça. Et, effectivement, on a eu tendance à me catégoriser comme « chanteur old school », ce qui est vrai, enfin, ce qui était vrai, notamment avec mes visuels ou ma musique qui étaient souvent connotés 1990’s. Mais avec ce projet-là, je crois que ça va changer.

C’est toujours connoté mais c’est plus comme une forme de signature.

Ouais c’est ça, en fait comme je l’ai dit, je fais ce que j’aime. Je n’essaye plus de faire du Ill ou du Time Bomb. Je suis encore méga fan aujourd’hui mais il faut que je fasse du Prince Waly. Et je pense que je suis en train de trouver le truc là.

En plus, maintenant, les années 1990 sont plus que jamais à la mode. Est-ce que ça veut dire que toi, tu vas arrêter de porter ce genre de sapes ?

En vrai, j’en mets beaucoup moins, enfin c’est bizarre (rires) ! Je vais voir un mec avec telle paire de chaussures et tu peux être sûr que je ne vais jamais l’acheter ! J’ai toujours voulu être moi-même. Les Nike Uptempo et tout le reste, je les mettais il y a quatre ans et on se foutait de ma gueule ! Mes potes me disaient « regarde tes chaussures d’astronaute, tu vas aller sur la lune et tout », et aujourd’hui ces mêmes gars portent ces chaussures-là. C’est comme les pantalons carotte ou slim. Au quartier on se foutait de ma gueule, parce que j’en mettais déjà moi. Aujourd’hui, c’est plus slim que slim ! La mode, c’est un cycle, ça part, ça revient. En ce moment j’aime beaucoup le cuir et quand, demain, tout le monde en portera, je mettrai autre chose.

Le projet Junior a disparu pendant un moment des plateformes, je pouvais pas croire que tu ne l’assumais plus !

Impossible ! Je suis tellement fier de ce projet, c’est lui qui m’a mis sur le devant de la scène,  et c’est Myth Syzer qui m’a poussé. J’adore tous les sons qu’il y a dedans. Et pour un premier projet, je me dis qu’il est quand même bien abouti.

Et ton projet à venir, prévu pour janvier 2019, comment l’as-tu conçu ?

Je suis passé par plein de moods différents. Le premier son que j’ai enregistré doit avoir six mois aujourd’hui. Et le dernier, j’ai dû le faire il y a trois semaines. Il me faut du temps, j’ai besoin de prendre du recul sur les choses. Je ne suis pas le genre de mec qui va te faire quinze sons et qui va t’envoyer des trucs tout le temps. Je préfère réfléchir posément. Par exemple, je ne peux pas écrire en studio. Il faut que je sois concentré et que je puisse revenir sur un morceau.

Pourquoi n’as-tu pas travaillé avec Fiasko et Myth Syzer, comme tu as l’habitude de le faire ?

Ça a été un peu pour m’émanciper. Pour dire que je suis capable de faire mes preuves tout seul. Syzer m’a validé et il m’a ouvert des portes de fou malade. Il est venu me chercher pour me faire un solo et je ne le remercierai jamais assez pour ça. J’étais vraiment dans mon truc, je ne sortais pas la tête de Montreuil. Et une fois que Syzer t’as validé, c’est facile après. Quand tu as bossé avec lui, tu peux travailler avec plein de gars. Ce qui lui arrive est ouf, il mérite tellement tout ça. Il bosse tout le temps et il a une vision des choses incroyable. Mais je voulais faire ma propre tambouille, pour voir si ça prenait.

La mention YZ revient plusieurs fois dans tes titres de chansons et sur ton profil Instagram, ça veut dire quoi ?

C’est très simple. Mon projet s’appellera BO YZ. Parce que je fais partie de la génération Y et que j’ai des petites sœurs qui font partie de la génération Z. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, avant, je faisais de la musique pour mes grands frères, pour les rappeurs, et je me suis dit qu’il fallait que je fasse de la musique avant tout pour moi, et pour ceux qui me soutiennent, qui m’écoutent et qui viennent à mes concerts. Or il se trouve que je reçois beaucoup de soutien des plus jeunes que moi. Quand, finalement, les anciens m’en donne beaucoup moins. Autant faire de la musique pour mon public et moi. Je veux que ce projet-là soit intergénérationnel. Et puis… C’est pour tous mes boyz !

Tu parles beaucoup de l’influence de tes grands frères, mais comment reçoivent-ils ta musique ?

J’ai grave besoin d’eux. J’ai une très bonne relation avec ma famille, avec mes frères, avec ma grande soeur aussi. Sans eux, je n’aurais jamais fait de rap. Ce sont eux qui m’ont fait écouter du bon son, qui m’ont un peu montré la voie. Ils m’ont fait écouter Doc Gyneco, les X-Men, Booba, etc. Je devais avoir six ans. Et ils me soutiennent. Une fois, j’étais au boulot et j’ai reçu un message de mon frère qui me disait : « je viens de t’entendre à la radio, sur Nova, c’est trop lourd, continue » ! On aurait cru qu’il avait gagné le million (rires) ! Ça me fait méga plaisir et c’est ce qui me pousse à faire ce que je fais aujourd’hui. J’ai besoin d’eux dans ma vie de tous les jours mais aussi dans la musique.

Et Tengo John, qui vient de sortir votre dernier featuring, « Flex », sur sa mixtape Hyakutake, c’est qui pour toi ?

On est devenus fréros. S’il y a bien un artiste avec qui j’ai une relation presque familiale, c’est lui. Ce gars, je le connais depuis très longtemps, il était là à mes tout débuts, j’étais là à ses tout débuts. Et on s’est toujours donné de la force mutuellement, quand ça n’allait pas. C’est vraiment un mec en or : humainement il est méga cool, il est toujours souriant, et puis sa musique est incroyable. Elle me touche parce qu’il y a beaucoup d’émotion et qu’il a vraiment son univers. C’est ça qui me parle en premier dans la musique. Je le considère énormément et j’espère qu’il fera de grandes choses.

C’est marrant parce que tu dis qu’Alpha Wann est le meilleur rappeur selon toi, mais lui est plutôt réputé pour sa technique.

C’est vrai mais Alpha est tellement fort… On lui reprochait de ne pas parler assez de lui mais dans son dernier album, les morceaux « Une main lave l’autre » et « Pour celles » restent techniques tout en étant dans l’émotion. C’est le n°1, le best, sa musique me parle totalement et puis je pense qu’on a été influencés par les mêmes choses. Et il a l’écriture. Alpha écrit. Dans le rap français, il n’y a pas énormément de mecs qui me parlent parce que je fais très attention aux textes, c’est ça qui me touche. Quand ça ne vole pas haut, je peux pas.

En parlant d’Alpha Wann, est-ce que ta phase « Amenons les négros au musée » est une référence au morceau « Louvre » ?

Ouais, quand il dit : « Mes nègres iront au musée quand ils vivront près du Louvre ». C’est une phase tellement folle. Je me dis que si j’avais vécu à côté du Louvre, j’y serais allé beaucoup plus souvent. Après, comme dit Booba aussi — je cite beaucoup de gars (rires) — les quartiers n’ont pas de barreaux et il a raison… Enfin quand même un peu… Cette phase-là, c’est plus pour dire aux gars : au lieu de rester en bas de chez vous à galérer, faites autre chose, allez à la bibliothèque, ce sont des trucs tout cons qui peuvent ouvrir des portes. Mais c’est avant tout une dédicace à Alpha Wann.

Dans « Marsellus Wallace », tu répètes : « Avec le temps on se bonifie », qu’est-ce que tu entends par là ?

J’estime qu’en étant plus jeune j’ai fait pas mal d’erreurs, des choses pas très cool que je « regrette » même si je n’aime pas dire ça. J’ai appris de mes erreurs. En grandissant, j’essaye de venir quelqu’un de meilleur et j’espère qu’à terme j’y arriverai.

Parlons plutôt des bons moments : je me demande ce qui est cool pour un rappeur comme toi aujourd’hui. À quel moment tu kiffes vraiment ce qui se passe ?

Quand je fais des pubs pour Nike (rires) ! Quand tes cachets augmentent ou que tes clips prennent. Malheureusement, ça met de la valeur sur ton boulot quand il est évalué comme ça. Ça te fait plaisir. Après, moi, j’ai toujours kiffé, que mes clips fassent 10 000 ou 200 000 vues, je resterais dans mon truc. Ce n’est pas vraiment le public qui me dirige, je fais ma musique et ensuite je la propose. Il y a eu des coups durs c’est vrai, mais je n’ai jamais baissé les bras et c’est ce qui fait que je suis là aujourd’hui !

Contrairement à beaucoup d’artistes en ce moment, tu as l’air de préférer la scène au studio.

Ah, j’adore la scène ! Quand je suis au studio déjà, j’y vais tout seul. Je connais mes textes par cœur et en général j’y passe maximum deux heures. J’arrive à finir le son. Je n’y vais pas pour jouer à la Play, chiller ou même écrire mes textes. C’est vraiment le boulot pour moi, et la scène c’est pour s’amuser. Il y a le public, ma famille, mes gars, et c’est un moment de partage. En cabine tu es tout seul avec ton casque… Et puis moi, j’adore les chaussures, et à chaque scène, comme pour remercier le public, j’envoie une paire de Nike dans le public. J’adore voir la réaction des gens, c’est trop cool !

En mode Drake !

Il est trop chaud. Action Bronson balançait des télés et des Play 4 je crois. Mais mon meilleur souvenir de scène reste le Petit Bain. Avec Ichon, Syzer, Loveni, et tous mes gars. En fait, c’était fou parce qu’une semaine avant on avait peut-être vendu 50 tickets sur environ 400. On se dit « wahouh, c’est compliqué, y’aura personne… » J’avais la pression. Et c’était mon premier vrai concert. Alors on a commencé à balancer un peu sur les réseaux et le jour-J on avait vendu plus de la moitié des billets. Donc à ce moment-là, ça va, c’est cool. Mais quand on a ouvert la billetterie, le truc s’est blindé en deux secondes. Je ne m’y attendais pas, j’étais un peu timide, et j’étais devant des gens qui avaient payé pour venir me voir ! Au bout d’un moment, j’ai eu un déblocage et j’ai pensé : « c’est un moment de fête, il faut célébrer, donne-toi à fond et fais-le pour les gens qui sont venus te voir ». Là, c’est devenu fou !

Tu joues bientôt à Bruxelles d’ailleurs, quelle est ta relation avec la scène belge ?

J’ai déjà rencontré certains d’entre eux. J’ai connu le rap belge via L’Or du Commun en 2014, qui m’avaient envoyé un message pour qu’on se rencontre. On est devenus grave potos, on venait souvent en Belgique. Je connaissais aussi Caballero par ses freestyles, et Roméo Elvis avait dormi chez mon pote Fiasko. On était en contact mais après chacun a fait ses trucs. C’est juste une question de timing, de calendrier. Je trouve que c’est énorme ce qu’ils font.

Tu as commencé à rapper avec Fiasko. Est-ce que tu avais entendu ta voix ou pensé à la musique avant ta rencontre avec lui ?

Non jamais, mais j’avais déjà écrit des petits textes. En primaire, je les chantais devant mes frères et ils se foutaient de ma gueule, c’était du rap chanté bizarre. Je ne me prenais pas au sérieux, je me trouvais nul. Mais quand je suis arrivé au collège et qu’Alfred (Fiasko, NDLR) m’a fait écouter les fameux sons des X-Men, j’ai pété un câble et j’ai commencé à écrire sérieusement.

Tu rappais pour ressembler aux X-Men ou à Fiasko ?

Les deux, mais je voulais vraiment rapper comme Fiasko. Il avait 12 ans et il rappait comme un mec de 30 ans (rires) ! Je ne sais pas comment il faisait. Mais c’était un mélange, les X-Men m’ont influencé de fou et c’est Fiasko qui m’a mis le pied à l’étrier.

Pour rester sur tes références, tu parles souvent des États-Unis comme si tu vivais là-bas, mais tu dis aussi que tu détesterais y habiter…

Ah ouais, jamais. Jamais de la vie ! J’ai ma famille ici, mes potes, mes gars et je ne suis pas du tout d’accord avec leur système. Il ne faut pas se méprendre, ne serait-ce que les armes à feu, je suis totalement contre. Ce qui m’attire là-bas, ce sont vraiment les codes, les vêtements, le style de vie… Mais je ne suis pas du tout axé sur ce qui est « extrême », genre tu vas au McDo et tu te retrouves avec un litre de Coca ! Pour moi c’est trop big, c’est trop abusé.

Et puis on retrouve énormément leurs codes dans notre propre culture désormais.

Avant, on disait que la France avait dix ans de retard sur les États-Unis. Aujourd’hui, il y en a cinq. On n’est pas assez tarés pour faire ce qu’ils font. C’est bien et pas bien à la fois. Par exemple, les clips américains sont quand même incroyables. Kendrick Lamar ou Travis Scott font des trucs de dingues ! Les français n’ont pas les moyens ? Je suis sûr que certains rappeurs français, ceux qui sont au sommet et qui peuvent se le permettre, seraient capables de faire avancer la créativité mais ils ne le font pas. Ils font des clips dans la rue… Il y a PNL par contre, mais souvent ce sont les artistes en développement qui font les meilleurs clips, comme Ichon. C’est pour ça que je dis que les cain-ris sont assez tarés pour faire des clips de malade.

D’ailleurs, tu dis dans une des chansons du projet à venir :  « on devrait casser les codes ».

Ouais c’est ça, et « laisser nos gamins s’épanouir ».

(Crédits photos: Jalis Vienne Boulemsamer)

Lola Levent

Lola Levent jongle entre poésie, critique d’art et journalisme musical. Dans ses rêves les plus fous, Jeff Koons aurait 0 vue sur son compte YouTube et le portrait de Ninho serait exposé en 4x3 au MOMA.