Pourquoi est-ce qu’on achète des trucs gratuits ? – Check

Pourquoi est-ce qu’on achète des trucs gratuits ?

22 mars 2018

« Un mois offert », « 2+1 gratuit », « free trial »… Les entreprises semblent parfois très généreuses. Mais elles ont un objectif en tête : vendre plus. La méthode, ancestrale, fonctionne.  On a fait le test.

Avez-vous déjà acheté un produit ou souscrit à un autre parce qu’il proposait une offre partiellement gratuite ? Moi, oui.

Et je ne suis certainement pas le seul à avoir été séduit un jour par une promotion d’un mois offert pour un quelconque abonnement ou par les plusieurs bouteilles gratuites qui complètent mon casier de bières déjà bien assez lourd (je n’ai pas encore succombé aux mois gratuits de Basic-Fit, mais ça va venir…).

On a l’habitude d’être confronté à ce genre de promotions au point qu’elles ne nous surprennent plus. La raison est simple : c’est une véritable stratégie qu’emploient régulièrement les entreprises, magasins et distributeurs. De fait, « la gratuité fait vendre« , affirme sans conteste Marie-Isabelle Muninger, professeure de marketing à l’ICHEC. J’ai donc cherché à savoir si je tombais à chaque fois dans le panneau.

L’idée d’écrire cet article n’est pas tombée du ciel (contrairement à la divine Lady Gaga au Super Bowl), mais à la suite d’un coup de téléphone un peu bizarre.

Trois premiers numéros gratuits

Pour cette fois, la gratuité venait à moi. À l’autre bout du fil, un vendeur de chez Roularta, un groupe de médias belge propriétaire notamment d’un magazine de foot. C’est ce titre-là que l’on m’a proposé pendant trois mois, avec comme seul échange mon adresse e-mail et mon adresse postale. Aucun euro, aucun numéro de carte. Pourquoi refuser ? Leur objectif est, vous l’aurez compris, que je m’abonne par la suite, après avoir reçu gratuitement les trois numéros.

« C’est une stratégie très intéressante pour les entreprises qui souhaitent faire connaître, dans un délai court, leur nouvelle offre », explique Marie-Isabelle Muninger. À l’heure qu’il est, je n’ai toujours pas lu un seul article du premier exemplaire reçu, ni même visité leur site web avec mon accès « abonné ». L’abonnement espéré semble bien compromis…

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Un sandwich et une saucisse sèche

Cette stratégie, dite du « sampling », qui est « une des meilleures méthodes de marketing qui existent », vous la croisez tous les jours. Dans les magasins, avec un petit bout de fromage par-ci, un sushi en passant, une olive par-là… Dans la rue, quand on vous propose une petite canette de soda finie en deux gorgées. Quand certains préfèrent s’empiffrer gratuitement, j’ai plutôt tendance à acheter. Dernièrement ? Le boucher qui aura réussi à me vendre un sandwich plus une saucisse sèche goûtée au préalable, car bien mise en évidence, coupée en morceaux sur le comptoir. Je suis faible. Et il le sait.

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Peut-être vous souvenez-vous également de cette ouverture d’un nouveau restaurant hype de burgers à Flagey (Bruxelles). Le restaurant offrait gratuitement plus de 2 500 burgers. Evidemment, il fallait patienter 1h30 pour s’envoyer un sandwich gras revisité. « Faire connaître une nouvelle offre dans un délai court » annonce l’enseigne, pari réussi, forcément.

Le gratuit, ça coûte !

Tout est donc bénéfice pour le consommateur. Du point de vue de l’entreprise, tout n’est cependant pas si rose (et gratuit). « Il est important de planifier ces actions à bon escient et de prévoir les quantités par rapport à l’objectif qu’on souhaite atteindre parce que cela représente non seulement une complexité mais également un coût très élevé », précise la professeure de marketing. « Si on prend l’exemple d’une marque de bières qui va offrir trois bières en plus, elle va toujours faire un calcul pour ne pas perdre de l’argent au total, tout en espérant vendre davantage. »

Au vu des ses bénéfices en déclin, le groupe Delhaize Belgique réfléchira peut-être à deux fois avant d’alpaguer ses clients à coups de promotions « 1+1 gratuit » pour son 150e anniversaire… Et si tu ne comprends pas pourquoi ton bar préféré case toutes ses « happy hours » quand tu es toujours au boulot, tu as maintenant la réponse.

« T’es un peu radin quand même »

« Si cela fait longtemps que la gratuité est mise en avant pour vendre plus, la technique s’est très répandue dans les hautes technologies au cours des dernières années », commente Marie-Isabelle Muninger. Qui n’a jamais bénéficié de mois gratuits pour son abonnement de téléphone, d’internet, de télévision ? Pour ma part, le choix est vite fait entre mon compte en banque allégé durant quelques mois et 100 chaînes supplémentaires que je ne regarderai probablement jamais.

Passons aux plateformes de streaming musicales. Celles-ci nous offrent une version totalement gratuite, mais truffée de publicités. Une pratique de plus en plus courante. La version payante permet donc une écoute dénuée de toute annonce, et quelques autres possibilités. Internet étant le plus grand bateau de pirates existant (ceux-ci ne se limitant pas à la communauté virtuelle de Booba), il n’aura pas fallu longtemps pour comprendre que les merveilleux bloqueurs de publicités fonctionnent aussi pour les plateformes de streaming. Adieu les pubs intempestives et bonjour l’économie de 10 euros (ou plus) par mois !

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Toujours sur le web, je suis souvent confronté à devoir partager des vidéos ou des photos avec mes collègues. Aucun problème, les sites de partage de fichiers regorgent sur la toile. Nombreux sont gratuits mais limités, notamment dans la vitesse ou la taille maximale qui peut être téléchargée. Leur version payante, sans surprise, dévoile une vitesse et un volume qui dépasse nos espérances.

Comme j’ai des oursins dans les poches à la James Deano, j’ai toujours trouvé des combines pour profiter de la version gratuite et arriver à mes fins : compression des fichiers, partage en plusieurs fois et sur plusieurs sites,…

Donc oui, je connais et j’utilise leur site grâce à leur version gratuite, mais celle-ci me suffit amplement.

Tout est gratuit, mais…

Habitués au tout gratuit sur internet, rarement nous nous posons la question de savoir pourquoi nous n’avons rien à débourser pour ce service. Parfois, c’est un don qui est demandé aux utilisateurs. De mon expérience personnelle, une méthode peu efficace. Qui a déjà sorti sa carte de crédit pour aider financièrement Wikipédia ou Mozilla ?

La réponse est dans la question. Avec une contrepartie, le système pourrait peut-être séduire davantage les potentiels donateurs. Si une aide financière accordée à Wikipédia permet la création d’une page à son nom, peut-être serais-je le premier à contribuer à la plateforme. Mais comment me catégoriseraient-ils ? Journaliste, philanthrope ou narcissique ?

Pour d’autres sites, nous « payons » quotidiennement, chacun avec une « monnaie » très personnelle.  » Le business model des réseaux sociaux permet l’utilisation gratuite de leur plateforme, mais ils utilisent les données personnelles de leurs utilisateurs pour pouvoir revendre des espaces publicitaires aux annonceurs », explique Marie-Isabelle Muninger.

Nos likes, nos partages, nos clics,… Voilà notre monnaie d’échange pour pouvoir utiliser Facebook gratuitement. Le like de la page de Morsay, la vision d’une vidéo de Swagg Man, le partage de la dernière trouvaille du Roi Heenok (oui j’adore les ref’ un peu vintage),… Il en faut peu pour que le bouquin « Faire du buzz à l’ancienne pour les nuls » me soit proposé. Personnellement, il ne m’est pas encore arrivé de cliquer sur l’une des annonces présentes sur mon fil d’actualité. Les milliards perçus par Mark Zuckerberg chaque année prouvent néanmoins que c’est un système qui fonctionne.

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De plus, la « totale » gratuité des réseaux sociaux et des services qui y sont liés provoque une habitude et un besoin chez l’utilisateur. « Il y a une sorte d’addiction qui apparaît. Les utilisateurs ne parviennent plus à s’en passer et ils payeraient sûrement pour continuer à l’utiliser. La limite de ce montant est une autre question. Mais je ne pense pas que tout le monde déserterait la plateforme tellement il y a un besoin qui s’est créé ».

Méfiance ?

Avant de pouvoir pleinement profiter de son service (en payant pleinement le prix), de nombreux sites, plateformes et autres sociétés proposent une période d’essai. Dans certains cas, loin d’être l’exception, nous ne pouvons avoir accès à cette période d’essai qu’après avoir encodé le numéro de sa carte bancaire. Voilà un étrange paradoxe.  » Il faut dans tous les cas faire attention aux conditions quand nous sommes face à ce genre d’offre. À quoi nous engageons-nous réellement ? « , met en garde la spécialiste. Bien souvent, il est précisé que nous pouvons annuler à tout moment. Toutefois, gare au mois entamé, on ne vous fera pas de cadeau.

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Faites également attention aux périodes d’essai trop longues. Non pas que c’est une arnaque, mais parce que vous risquez d’en oublier la fin. Particulièrement quand vous devez annuler votre abonnement au minimum un mois en avance.

Je parle en connaissance de cause. J’avais été alléché des six mois gratuits que proposait Villo (les vélos partagés bruxellois) avant les grandes vacances. Comme l’illustrent les propos de Marie-Isabelle Muninger, l’habitude a pris le dessus : « Vous êtes tellement séduit par l’offre d’appel qu’après l’effet de nouveauté, vous rentrez dans une certaine routine. Quand vous vous rendez compte que vous n’avez plus besoin du service proposé, le temps de faire les démarches, votre compte continue d’être facturé. Notre mode de vie contemporain facilite l’oubli, nous sommes tellement sollicité…  »

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Pour le Villo, l’abonnement est annuel (et très bon marché diront les mauvaises langues…). La surprise ne fut que peu mauvaise. Au contraire, la note peut piquer aux yeux dans le cadre d’un abonnement d’un livre par mois auquel nous avons souscrit à la suite d’un trimestre gratuit. Et qu’un an après, les bouquins rangés dans la bibliothèque encore emballés s’accumulant, on décide d’annuler.

En fin de compte, je pense ne pas trop céder au chant des sirènes du gratuit. Certainement plus dans la « vie réelle » que sur le web. J’ai tout de même décidé de me tester une dernière fois : me voilà récemment abonné à Netflix pour, d’abord, un mois gratuit. Promis, je craquerai pas. (Et sinon vous me conseillez quoi comme série ?)

Léopold Darcheville (auteur invité)