Frenetik: rapper vrai, rapper fort – Check

Frenetik: rapper vrai, rapper fort

4 août 2020

Martin Vachiery

La scène rap en Belgique est en plein renouveau. On vous a déjà présenté Geeeko et Gutti, on vous parle bientôt de YG Pablo et Bakari (pour ne citer qu’eux), aujourd’hui c’est Frenetik qu’on met à l’honneur sur Check ! A 21 ans, le jeune bruxellois (repéré par Jeune Boss), a déjà rejoint un label parisien de qualité (Blue Sky), preuve de son talent et de sa singularité. On vous emmène à la découverte d’un artiste à la plume précise et au flow explosif, une rencontre signée Martin Vachiery.

Quand le rendez-vous est fixé avec Frenetik, la Belgique a encore du mal à sortir de ce foutu confinement. A une période triste pour la culture et en particulier pour la musique live, on est ravis de pouvoir continuer à rencontrer des artistes. Surtout quand il s’agit d’un jeune bruxellois, aussi cool et intéressant que Frenetik.

Martin et Frenetik se voient pour la première fois, passées les présentations d’usage, on rentre directement dans le vif du sujet, pour en savoir plus sur ce rappeur belge, qui grandit dans le quartier Anneessens (centre de Bruxelles) avant de bouger vers Evere (nord de Bruxelles) où « Frenetik » va naître.

Pour tout fan de rap qui se respecte ici, la commune d’Evere restera toujours liée à l’un de ses plus illustres représentants : le rappeur Gandhi, devenu G.A.N. Il est l’une des icones du rap en Belgique, et c’est aussi l’un des premiers rappeurs qu’écoute Frenetik.

Voilà ce qui caractérise aussi cette nouvelle génération de rappeurs belges, ils n’hésitent jamais à citer leurs références et leurs influences, alors avant de s’intéresser à lui, on a forcément commencé par parler de ses aînés.

Martin : Gandhi c’est une légende à Evere, c’est le bourgmestre même !

Frenetik : Gandhi c’est le premier ministre d’Evere même ! (Rires) Sinon j’écoutais Psmaker à l’époque (avant qu’il devienne Isha). J’aimais beaucoup Dalsim aussi (Blaps Muzik), la Section 1.9 aussi. Même certains artistes ou certains groupes qui étaient des grands frères de potes à nous ! On écoutait tout ce qui se passait ici.

Beaucoup de gens l’ignorent, mais à Bruxelles on a produit beaucoup d’artistes qu’on pourrait qualifier de « street », même si le terme est éclaté, en tout cas des artistes qui parlent vraiment de rue dans leurs textes.

C’est clair, c’est ce qui nous a inspiré en premier lieu. Si tu prends un mec comme Dalsim et son groupe Blaps Muzik, c’est les premières personnes qui sont venues vers nous et qui nous ont un peu poussés genre avec le minimum ; quelques petites sessions studio, quelques petits conseils, etc. donc merci à eux.

Tu as commencé tôt ?

Aujourd’hui j’ai 21 ans et cela va faire 10 ans que j’écris. Ça a commencé bêtement à l’école, les gens aimaient bien faire des clash. Alors on a commencé à se clasher ! Puis j’avais un cousin qui lui faisait du rap sérieusement, il enregistrait en studio, et il m’a proposé de poser sur une instru et d’écrire un « vrai truc ».  J’ai essayé, j’y ai pris goût, je m’y suis mis et puis l’écriture est devenue une habitude. J’ai mis du temps à rentrer en studio la première fois, mais j’ai beaucoup pris le temps d’écrire aussi, c’est pour ça que par rapport à des jeunes de mon âge, mon écriture est assez différente, parce que j’ai vraiment eu le temps de réfléchir à ce que je pouvais dire.

Ce que j’aime beaucoup chez toi, c’est que tu as une écriture très brute et très spontanée. Elle fait un peu penser à celle de Kalash Criminel au début. Avec pleins d’images, pleins de métaphores, pleins de concepts très forts que tu colles les uns aux autres.

Souvent ce qui est simple, c’est ce qui marque le plus. Il suffit de prendre deux mots et de les placer au bon endroit pour que quand tu écoutes, tu crées ta propre image. C’est que j’aime faire, jouer avec les mots pour créer des univers.

Puis il y a des rimes qui paraissent simples, mais qui sont super construites et efficaces. Comme quand tu dis « vendre des grammes pour ne plus prendre le tram », c’est très imagé et pourtant très concret.

Après ça dépend des types de sons que je fais. Si je fais un son plus conscient, je vais jouer souvent sur les doubles sens, un peu moins sur la technique. Puis quand c’est par exemple les trucs un peu « chaud » comme « la Matrice » ou « Trafic » (dans le dernier projet), là j’essaye plus de mettre de l’énergie et de la simplicité pour être le plus efficace possible !

Je suis obligé de citer cette punch : « Un flic qui meurt dans une bavure, j’appelle ça une remontada ». C’est une phrase qui résonne fort, plus que jamais en ce moment.  

Quand j’ai écrit ça, c’était déjà un concept ancré dans ma tête, mais la réalité des violences policières a pris encore plus de place dans mon esprit et dans l’esprit des gens. Plus personne ne se sent protégé de la police, alors qu’ils sont censés être au service des citoyens. Quand je parle de bavure et de « remontada », c’est une façon de faire comprendre qu’un jour quelqu’un pourrait péter les plombs. C’est pas forcément une bonne chose, mais selon l’angle de vue, tu peux voir les choses différemment.

Histoire de rappeler que la police n’a pas le monopole de la violence non plus…

C’est ça. Les gens peuvent être bons, mais les gens peuvent être très aussi mauvais.

Quand on pense à George Floyd aux Etats-Unis, à Adama Traoré en France, et à tellement d’autres cas, qu’est-ce que ça réveille en toi ? En tant que jeune noir à Bruxelles, comment tu vis cette réalité ?

Dans un texte que j’ai écrit il y a pas longtemps, j’ai dit : « ils ont attendus bavure et règlement de compte pour se rendre compte que depuis toujours la vie des noirs compte ». Tu vois en fait, ce qu’il se passe aujourd’hui je pense que c’est exposé aux yeux de tous, mais pour la plupart d’entre nous c’est une réalité qui existait déjà depuis toujours dans la vie de tous les jours. Que ce soit à l’école, que ce soit au travail, que ce soit même dans la rue vis-à-vis de la police, vis-à-vis des institutions, tout le temps. C’est un combat que l’on vit au quotidien et dont on ne peut pas se détacher, parce que c’est nos vies. Alors c’est bien que tout le monde en parle, mais il ne faut pas que les gens en parlent comme si c’était quelque chose de nouveau ou juste une tendance.

Parfois on a l’impression que les gens se réveillent à cause (ou grâce) aux Etats-Unis, mais qu’ils refusent de voir le racisme systémique, ici, chez eux ; comme si c’était « moins grave »…  

Le racisme est partout, partout ! Et pas simplement envers les Noirs. Et c’est encore plus dur à comprendre pour nous, les Bruxellois, parce qu’on a toujours vécu avec énormément de mélanges. J’ai grandi avec des albanais, des arabes, des renois, des blancs… sur les réseaux j’ai vu une phrase qui m’a interpellé : « Nous le racisme on l’a découvert à la télé. ». C’est vrai. De base quand tu connais pas ce concept, en tant qu’enfant, tu vis avec plein de communautés mais tu vois surtout des gens, pas des origines. Voilà pourquoi tout se joue avec l’éducation. Si on apprend à tous les enfants qu’il faut comprendre qu’on est tous pareils, dès le plus jeune âge, quand on va grandir, on va grandir tous ensemble. Moi j’ai des frères aujourd’hui, ils ont été manifester pour une cause qui n’est pas la leur, mais ils sont capables d’imaginer le mal que ça représente pour les Noirs comme moi, le racisme. En être conscients et pouvoir se mettre à notre place,c’est déjà un grand pas vers l’annihilation du racisme.

On en parlait avec Gutti, tu penses que le rap est en train de retrouver une certaine force de combat dans les textes et l’engagement ?

C’est certain, et c’est très bien ! Parce que c’est bien de faire de la musique pour enjailler les gens, mais il faut aussi parfois exprimer des choses sincères, livrer des messages, développer des idées etc. En tant qu’artiste, tu portes cette responsabilité en plus. Si on sait que tu es écouté partout, on va porter de l’attention à ce que tu dis ou à ta personne. C’est un peu dommage parce qu’aujourd’hui, peu de rappeurs essayent vraiment de conscientiser les gens. Je ne dis pas qu’il faut le faire tout le temps, chaque artiste est libre de faire ce qu’il veut, mais en vrai tu peux même faire un son pour enjailler les gens, tout en glissant un message à l’intérieur.

Dans le mouvement Black Lives Matter, certains reprochent aux rappeurs (et notamment aux rappeurs blancs) de rester trop souvent silencieux, c’est ton avis aussi ?

Faut être prudent quand même, on ne sait pas toujours ce qu’un artiste fait concrètement pour soutenir un tel combat. Certains mènent la lutte dans l’ombre, pas spécialement dans leurs textes ou sur les réseaux. Donc il faut se remettre en question et se renseigner avant de pointer tel ou tel artiste du doigt. Je porterai pas de jugements sur les autres. Parce que parfois, ceux qui s’exposent à la lumière, veulent en tirer profit personnellement. C’est parfois mieux de bosser dans la discrétion.

Pour en revenir sur ton projet « Brouillon », il a été finalisé et il est sorti pendant le confinement. C’était la pire période pour la musique, mais aussi l’occasion de s’enfermer et de bosser, comment tu l’as vécu ?  

Disons que ça pourrait paraître surprenant, mais perso, je pense que cette année c’est la meilleure chose qu’il me soit arrivé. Cela a été comme un trou dans le temps qui m’a permis de revoir ce que j’avais déjà fait, voir ce que je pourrais faire encore. Vraiment réfléchir, c’était une espèce de pause pour me remettre en question, pour savoir ce qu’il fallait. Souvent quand tu es dans ta course tu fais pas attention à tout, alors que si tu as ne fut-ce que un petit moment pour t’arrêter, prendre conscience de ce qu’il se passe, je pense que ça pourra t’aider à aller de l’avant. C’est ce qui s’est passé avec le projet.

C’est là que je me suis rendu compte de l’importance de la musique. Parce que j’avais besoin d’aller en studio et ils étaient parfois fermés. Par exemple sur le morceaux « Virus BX-19 », il ne devait pas être dans le projet, mais j’avais envie de le sortir. Alors j’ai appelé mon gars Bob pour lui dire « frère, je veux enregistrer quoiqu’il arrive. Même si y a pas de murs, je veux rien savoir, je veux faire ce morceaux ! » (Rires). Donc j’ai insisté et finalement c’est le morceau qui a le mieux marché sur le projet.

Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, ce projet c’est la meilleure carte de visite, parce que c’est un bon panel de tout ce que tu sais faire, entré mélodies et rap brut. Et surtout ça donne envie de t’écouter sur un projet plus complet, sur un vrai album !

On a pas mal débattu avec mon équipe pour s’accorder sur les titres. Au final je suis content, parce que ça me ressemble. Il faut savoir qu’en dehors du rap, je suis un vrai dingue de musique. J’écoute de tout, vraiment, les gens ne peuvent pas d’imaginer ce que j’écoute.

Comme quoi ?

Je préfère garder ça pour moi (Rires)

Tu travailles avec le label Blue Sky à Paris, qui ont la solide réputation d’être des dénicheurs de talents et de travailler avec des artistes crédibles ; qu’est-ce que ça te d’avoir été approché par cette équipe ?

Franchement, j’étais content ! Et je suis toujours aussi content parce que j’ai vraiment des super retours. Moi je ne suis pas de Paris, donc je connais pas ce milieu, mais à chaque fois que j’y vais on me dit « Ah tu travailles avec Sacha ? C’est le boss lui ! » (Rires). Donc je me suis dit que j’étais dans une bonne équipe et qu’il fallait assumer maintenant ! (Ndla : le label Blue Sky est géré par Sacha Lussamaki, ex-Universal et Def Jam France, sa réputation le précède)

Tu as l’impression de faire partie de cette fameuse nouvelle vague belge ?

Complètement. Et y a même plein d’artistes que je connaissais pas, alors qu’on est dans la même ville. Il se passe tellement de trucs ici. La génération d’avant, ils ont dû d’abord sortir de la Belgique pour propager leur musique ; là c’est l’inverse qui se passe. On construit d’abord notre réputation ici. C’est positif. Maintenant ici les jeunes écoutent du belge, y a 10 ans c’était super rare. Et depuis quelques années, même les autres pays francophones ont les yeux sur ce qu’il se passe ici. Donc ça veut dire que le truc s’est mis en marche et qu’il marche très bien pour l’instant.

C’est quoi la priorité pour la suite de ta carrière ?

Travail toujours, tu connais ! Je continue de bosser, sessions studios etc…. Si sur le chemin je sens que à l’intérieur de moi j’ai le besoin ou j’ai l’envie de sortir un projet, je vais voir avec l’équipe ce qu’ils en pensent. Je ne me presse pas trop. Souvent quand tu cherches trop à avoir le contrôle sur quelque chose, justement c’est là que t’en as pas vraiment. Donc moi j’essaye de voir, tirer profit des opportunités qui sont là. Je vois avec le temps en fait. Parce que hier encore, je ne m’imaginais pas vivre de ça. Il faut juste travailler et rester focus. Si tu es bien entouré, que tu réfléchis bien et que tu prends ton temps, que tu sais où tu veux aller, tout ira bien.

Là pour le coup t’as l’air d’être bien entouré en tout cas. L’équipe est carrée.

Ouais, franchement pour une fois dans ma vie le cercle est fermé. C’est important d’être avec des gens, mais c’est surtout important de voir la même chose que ces gens. Qu’on soit tous sur la même longueur d’onde. Des amis j’en ai plus trop tu vois, des connaissances je peux en faire, je peux en avoir, mais après ça s’arrête là.

Tu préfères garder un cercle restreint autour de toi ?

Ouais. Mais après je ne suis pas quelqu’un de fermé. On sait jamais hein. Peut-être que demain je vais rencontrer un gars, il va devenir mon jumeau on va fonder un groupe, je sais pas on va être même le duo du siècle (Rires). Mais j’essaye quand même de faire attention, c’est ce qu’il faut. C’est le plus important, il faut faire attention à soi-même et aux gens qui nous entourent.

J’ai une dernière question. Chaque ville produit des rappeurs et du rap différent, puisque le rap s’inspire de la ville où il est créé, plus que n’importe quel style de musique. C’est une question que je me pose depuis longtemps : qu’est-ce que tu penses que Bruxelles apporte au rap comme énergie différente ?

Ici à Bruxelles, la ville est tellement petite que tu ne peux pas te permettre de faire comme l’autre. Tu dois d’office avoir ta propre identité, ton style et te démarquer. Donc si tout le monde fait ça, c’est normal qu’on se dise « wow, tous ces mecs sont chauds ! ». Après le problème, c’est que quand tu pousses trop loin ton niveau ou ton délire, c’est qu’on risque ne pas se faire comprendre de tous. Parfois les gens ont besoin de simplicité, donc il faut trouver un équilibre. Mais ici en Belgique, si tu regardes bien, chaque artiste a son truc à lui, son juice, et sa propre singularité. Vraiment ici, j’ai pas encore croisé quelqu’un comme moi. Je n’ai pas encore croisé quelqu’un comme Geeeko. Je n’ai pas encore croisé quelqu’un comme YG Pablo et le reste… Je ne dis pas qu’en France c’est ça, mais en France tu peux avoir un artiste qui arrive, et puis après derrière on va appeler ça des dérivés, ici ça n’existe pas.  

Et puis contrairement au rap cainri, ici pour faire du rap, tu peux jamais raconter n’importe quoi, ça passera jamais à moins d’avoir le meilleur flow de l’univers.

Je pense qu’on peut se quitter là-dessus, que de l’amour pour la suite.

Que de l’amour !

Ecoutez Frenetik, son projet s’appelle « Brouillon » et il est dispo partout !

Crédits photos : Adèle Boterf

Martin Vachiery

Journaliste bruxellois spécialisé dans la culture Hip Hop, Martin Vachiery a également travaillé pendant 8 ans à la rédaction de RTL Belgique. En 2011, il réalise le premier documentaire consacré au Rap bruxellois: “Yo ? Non, peut-être!”. En 2013, il anime ensuite pendant un an le “Give Me 5 Show” une émission de radio spécialisée en Rap belge, diffusée sur Radio KIF puis FM Brussel (devenue Bruzz). Après avoir collaboré avec de nombreux artistes de la scène belge sur différents projets culturels, il est aujourd’hui en charge de la ligne éditoriale et de la programmation musicale de Check.